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Il y a cinquante ans, l’Angleterre et les États-Unis avaient fait un traité qui, d’après le nom de ses négociateurs, s’appelle le traité Clayton-Bulwer, et qui, si on en néglige les détails, avait un double objet : 1° de décider qu’aucun des deux contractans ne creuserait éventuellement le canal à l’exclusion de l’autre ; 2° que le canal, une fois ouvert, serait neutre. Pendant longtemps, on n’a plus parlé de ce traité : d’abord parce que ni l’Angleterre, ni les États-Unis n’étaient pressés de se lancer dans l’entreprise du canal ; ensuite parce qu’une autre entreprise avait eu lieu, en vue de percer un canal à travers une autre partie de l’isthme, et qu’on avait pu croire à son succès. Nous ne disons pas qu’on ne puisse pas y croire encore ; mais les accidens d’ordres divers qu’a éprouvés dans son exécution le projet de M. de Lesseps ont ramené l’attention sur le traité Clayton-Bulwer, et, comme il s’est passé, depuis un demi-siècle, bien des choses dans le monde, les deux contractans de 1850 ont éprouvé le besoin d’apporter certaines modifications à leur arrangement. A dire vrai, ce sont les États-Unis qui ont senti cette nécessité : l’Angleterre aurait fort bien continué de s’accommoder de l’ancien traité. Mais les États-Unis, à mesure qu’ils ont grandi, et surtout depuis les succès qu’ils ont obtenus ces dernières années, ont perfectionné la doctrine de Monroë et sont devenus très intransigeans sur son application. L’Amérique doit être aux Américains seuls : les puissances du vieux monde n’ont rien de plus à faire que d’y apporter leurs capitaux, en échange de ses produits à bon marché. L’idée d’un canal qui serait percé sur territoire américain avec la collaboration d’un État européen n’était plus supportable ! L’Angleterre elle-même s’en est rendu compte. Elle ménage beaucoup les États-Unis ; elle devait s’efforcer d’écarter avec eux tout germe de conflit. De part et d’autre, on s’est donc mis à l’œuvre pour corriger le traité de 1850, et on en a fait un nouveau, qui, toujours suivant les noms de ses négociateurs, s’appelle le traité Hay-Pauncefote : il a été signé au mois de février dernier. En deux mots, l’Angleterre renonce au droit parallèle à celui des États-Unis qu’elle avait sur la construction du canal. Si le canal est jamais creusé, il ne le sera que par des mains américaines. Mais il devra être neutre, comme il avait été convenu en 1850, et on lui appliquera les règles qui ont été préparées pour assurer la neutralité du canal de Suez.

Restait à faire voter le nouveau traité par les parlemens des deux pays. On a commencé, et pour cause, par le soumettre au Sénat américain, sans être bien sûr de ce qu’il en ferait. Qu’en a-t-il fait ? Avec