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votre devoir. Accepter les conséquences de ses fautes, c’est là toute l’expiation dont un homme est capable. On ne peut pas exiger de lui davantage. C’est ce que le langage vulgaire appelle si exactement prendre la responsabilité de ses actes. Vous avez épousé Mlle Duvernay avec un secret que vous deviez lui dire avant le mariage. En l’épousant, vous vous êtes engagé, par cela même, à ce que ce secret meure dans votre cœur, sans jamais en sortir, dussiez-vous en mourir aussi. Tous les mots, tous les gestes, toutes les expressions de visage qui ont pu donner à votre femme, durant ces derniers mois, l’idée que vous lui cachiez quelque chose, ont été autant de mauvaises actions ajoutées à la première. Il est temps encore de réparer le mal. Qu’à partir d’aujourd’hui, Éveline vous voie vivre avec elle simplement, naturellement, et elle attribuera les accès de tristesse qui l’ont tant troublée, et jusqu’à la scène d’hier soir, à ces désordres nerveux dont vous lui avez parlé déjà. Souffrez en dedans, mais qu’elle ne le voie plus. Tout votre devoir est là. Je conviens que c’est une très dure épreuve. Mais c’est vous qui l’avez voulue. Subissez-la virilement. Vous retrouverez votre propre estime, et, avec elle, la force de sauver votre ménage. Vous devez vivre, et vivre avec ce but : guérir la blessure que vous avez faite à ce jeune cœur qui s’était donné à vous avec un si complet abandon. Moi, je serai là pour vous soutenir, puisque le silence vous était trop lourd. Vous me parlerez, et tout ce que je pourrai pour vous aider à endormir les soupçons d’Éveline, je le ferai. Mais, prenez garde ! Ce n’est pas dans huit jours, ce n’est pas dans vingt-quatre heures qu’il faut commencer à vous prendre en main ; c’est aujourd’hui, c’est tout de suite… Vous en sentez-vous l’énergie ?…

— Oui, dit le jeune homme avec fermeté. — La virile allure de la parole de d’Andiguier, dans cette seconde partie de son discours, correspondait trop à certains besoins de cette âme désorientée et fatiguée d’une si longue solitude. Mais Malclerc avait aussi trop souffert pour n’avoir pas besoin de plus d’affection dans le conseil, de plus d’indulgence dans l’appui, et, après avoir répété : « Oui, je m’en sens l’énergie et je vous donne ma parole que je ne retomberai plus dans mes faiblesses, » il continua : « Vous avez été bien sévère pour elles tout à l’heure, mais vous êtes un sage, monsieur d’Andiguier. Vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir aimé comme j’ai aimé, d’avoir été aimé comme je l’ai été, et par quelle femme !… Vous ignorez ce