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de Vieux-Catholiques. Le « martyre » du Père Benecke n’aura duré, au total, que deux ou trois mois !

Mais avant de se convertir tout à fait au vieux-catholicisme, « l’humble serviteur de la patrie céleste » a l’occasion de nous offrir, une fois de plus, le spectacle de son « idéalisme. » Car Eléonore, inquiète de la façon dont elle a agi avec Lucy, s’avise de le prendre pour confesseur. « Mon père, lui dit-elle, vous êtes prêtre. Et moi, sans être catholique, je suis un être humain, avec une âme, si une telle chose existe. Je suis en peine, et probablement sur le point de mourir. Voulez-vous entendre mon aveu comme si c’était en confession, sous le même sceau ? » Benecke consent, et Éléonore lui avoue qu’elle a séparé Lucy de l’homme qui l’aimait. Et le confesseur, en la quittant, songe que le seul remède au mal qu’elle a fait serait de prévenir Manisty, qu’il s’est engagé à ne point prévenir. Sur quoi il se rappelle sa « théologie. »

Benecke se souvint que, d’après saint Thomas, un confesseur a parfois le droit de tenir compte de ce qu’il a entendu en confession pour travailler à détruire des obstacles entravant les progrès spirituels de son pénitent. La théologie moderne nie absolument la légitimité d’un tel acte, qui, pour elle, est la violation du sceau sacré de la confession. Mais, pour Benecke, en cet instant, le tendre argument de saint Thomas revêtit une beauté et une force convaincante qu’il ne lui avait point, jusque-là, soupçonnées.

Si bien que le néo-thomiste, sitôt rentré chez lui, écrit à Manisty, non pas en vérité pour lui révéler l’adresse de Lucy, mais pour lui révéler sa propre adresse, qui est la même que celle de la jeune fille. Et pas un seul instant l’auteur ne s’en étonne. Elle approuve, elle admire de tout son cœur l’ingénieuse casuistique de l’ex-Père Benecke. Dès la page suivante, elle recommence à nous représenter celui-ci comme « l’humble serviteur de la patrie céleste. » Et les critiques anglais, après avoir signalé les défauts littéraires de son Eleanor, se trouvent unanimes à proclamer que jamais on n’a imaginé une plus idéale figure de prêtre, ni peint avec plus d’exactitude les mœurs catholiques !


T. DE WYZEWA.