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brusquement révélées au mois de janvier avec le complot de la Villeheurnois n’auraient pu suffire à cette démonstration. Ces épisodes isolés, suivi de répressions impitoyables, avaient mis en lumière, plus encore que l’audace des rebelles et des conspirateurs, leur faiblesse et leur crédulité, leurs illusions et leur impuissance. Ce n’est pas la République que les menées des mécontens exposaient à périr, mais le Directoire seul, le Directoire tel qu’il était composé et dont ils voulaient remplacer trois membres sur cinq par des hommes de leur choix. Sous prétexte de la défendre, c’est en réalité pour se défendre eux-mêmes, pour consolider entre leurs mains le pouvoir qu’on prétendait leur arracher, que Barras, Rewbell et La Revellière-Lépeaux, à l’insu de leurs collègues Carnot et Barthélemy, se forgeaient des armes, se créaient des raisons plausibles d’agir, ayant à cœur de justifier aux yeux du pays les desseins violons dont ils apprêtaient en silence l’exécution avec le consentement et le concours de Bonaparte, d’Augereau et de Hoche[1].

  1. Convaincu que la République était en péril, le jeune général, qu’on voudrait ne pas rencontrer dans cette aventure, y prit la part la plus active. Il détacha de son armée plusieurs régimens, qui allèrent jusqu’à Soissons, prêts à marcher sur la capitale au premier appel du Directoire. Le 13 septembre, huit jours après le coup d’État, il dénonçait Kléber comme ami de Pichegru, faisait destituer comme « un vil espion » le général de Salm et expédiait à Paris sous un prétexte plusieurs généraux : Férino, Souham, etc., etc., qu’il tenait pour suspects. En outre, la caisse du Directoire étant vide, il prêta à Barras, de ses deniers et de ceux de Déchaux son beau-père, une somme de 48 000 livres dont sa veuve ne fut remboursée que l’année suivante. Le 21 fructidor, déjà mortellement atteint, il s’écriait, au reçu des nouvelles du 18 :
    — Docteur, mon rhume est guéri. Voilà le remède.
    Le lendemain, il écrit à Barras :
    « Bravo, mon cher Directeur, mille fois bravo ! Nous sommes tous ici dans l’enchantement. J’attendais votre courrier avec bien de l’impatience. Il faut une justice prompte. Songez aux maux qu’a soufferts le peuple français. Pas de faiblesse. Si vous vous conduisez ainsi qu’en vendémiaire, attendez-vous aux mêmes résultats. Dans deux ans, ce sera à recommencer. Il faudra s’occuper de l’épuration des armées. Songez que Schérer (ministre de la Guerre) ne vaut rien. Je vous offre pour le remplacer Tilly et Championnet. »
    Le 27, si proche de la mort, en recevant le commandant intérimaire de l’armée de Rhin-et-Moselle pendant l’absence de Moreau appelé à Paris, il revient à la charge : « Vous m’avez donné le commandement de deux armées. Le conserverai-je longtemps ? Faites-le-moi connaître, afin que cette armée ressemble aux autres. Pichegru, qui depuis six mois y a fait placer beaucoup de ses partisans, pourrait compter sur quelques-uns. Je ne veux point de sang, j’abhorre les mesures violentes. Il est cependant à déplorer que les circonstances forcent le gouvernement à faire grâce à ceux qui voulaient livrer notre pays à leurs plus cruels ennemis. Réfléchissez-y, Barras, la faiblesse d’un gouvernement encourage les factieux, et nous n’aurions pas à déplorer les temps affreux qui viennent de s’écouler, si les chefs des sections eussent suivi le maître à l’échafaud. »