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lui aie, depuis cette époque, envoyé des courriers tous les jours ou au moins tous les deux jours. J’attends avec bien de l’impatience qu’il lui plaise me fournir des renforts en troupes et des moyens matériels, ou d’accéder à la demande que je lui ai faite de charger quelque autre de venir chercher des lauriers au champ de la disette et de la pénurie la plus absolue.

« J’ai donné depuis longtemps des ordres pour faire approvisionner les places du Rhin et de la Moselle. Mais je ne puis me liai ter qu’ils aient été exécutés. Les départemens et les districts qui doivent concourir à cette opération sont d’une lenteur et d’une négligence incroyables, malgré tous les stimulans qu’on peut leur faire avaler. »

Peut-être, en constatant l’énergie des plaintes réitérées de Pichegru et l’impuissance de ses efforts, sera-t-on tenté de les attribuer à un calcul. S’il est résolu à trahir, à ne pas combattre, à se laisser vaincre, dût sa gloire passée en rester à jamais ternie, il a tout intérêt à justifier par avance sa conduite, à démontrer qu’elle lui a été imposée par l’état même de son année. Mais, pour réduire à rien l’objection, il suffit d’y opposer le langage que tiennent au même moment ceux qui entourent Pichegru et qui rectifieraient bien vite ses exagérations et ses mensonges, s’il exagérait ou s’il mentait. Que dit Merlin de Thionville, ce jeune exalté que Barras représente comme « capable de brûler la cervelle à Pichegru, » s’il l’avait soupçonné d’un manquement au devoir ? Que disent ses collègues ? Que disent les généraux ? Les mêmes choses que Pichegru, et avec plus de force que lui.

« Nos caisses sont à sec, écrit Merlin le 7 septembre. Il n’arrive rien. Nous devons 200 millions. Vous avez beau avoir envoyé,… il est un fait aussi constant, c’est l’insuffisance de ce qui est arrivé et du numéraire pour la solde des troupes. » Et, le 12 octobre, après avoir esquissé le seul plan de campagne qui puisse, selon lui, conjurer un échec devant Mayence, lequel « diminuerait l’importance et la grandeur de notre situation vis-à-vis l’Allemagne », il déclare que, pour que ce plan réussisse, il faut deux choses : du monde et de l’argent. « Du monde, puisque Sambre-et-Meuse n’est que ce qu’il faut pour faire tête à l’ennemi sur le Mein et qu’il faudrait que la colonne qui filerait vers Wurtzbourg fût au moins de vingt-cinq mille hommes. Pichegru ne peut rien faire que depuis Mannheim jusqu’à Bâle,