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terres. » On voit que le retour éternel dans le temps peut et doitse compliquer de la répétition actuelle à l’infini, d’une sorte deretour éternel dans l’espace, dont Nietzsche n’a pas parlé.

Les commentateurs de Nietzsche ont aussi négligé de mentionner que, dans les Vers d’un philosophe, qui parurent en 1881, Guyau avait fait de l’analyse spectrale et de la répétition à l’infini le sujet d’une de ses plus belles pièces lyriques. Lui aussi, il a vu que la conséquence la plus apparente et la plus immédiate de la découverte spectrale est le retour sans fin des mêmes élémens, non pas seulement dans la durée, mais aussi dans l’espace.

 
Partout à nos regards la nature est la même :
L’infini ne contient pour nous rien de nouveau…

Vers quel point te tourner, indécise espérance,
Dans ces cieux noirs, semés d’hydrogène et de fer,
Où la matière en feu s’allonge ou se condense
Comme un serpent énorme enroulé dans l’éther ?

Puisque tout se ressemble et se tient dans l’espace,
Tout se copie aussi, j’en ai peur, dans le temps ;
Ce qui passe revient, et ce qui revient passe :
C’est un cercle sans fin que la chaîne des ans.

Est-il rien de nouveau dans l’avenir qui s’ouvre ?
Peut-être, — qu’on se tourne en arrière, en avant, —
Tout demeure le même ; au loin on ne découvre
Que les plis et replis du grand serpent mouvant.

Devant cette possibilité d’un éternel retour des mêmes choses dans le temps comme dans l’espace, — si bien que le rayon de lumière qui traverse l’immensité, s’il pouvait traverser aussi l’éternité, donnerait toujours le même spectre et révélerait les mêmes scènes, — Guyau n’éprouve pas l’enthousiasme qu’éprouvera Nietzsche ; tout au contraire, il demande à la Nature, avec l’accent d’une désespérance infinie :

Depuis l’éternité quel but peux-tu poursuivre ?
S’il est un but, comment ne pas l’avoir atteint ?
Qu’attend ton idéal, ô nature, pour vivre ?
Ou, comme tes soleils, s’est-il lui-même éteint ?

L’éternité n’a donc abouti qu’à ce monde !
La vaut-il ? Valons-nous, hommes, un tel effort ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! si notre pensée était assez féconde