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les fenêtres par peur des miasmes, tant elle était sûre de sa belle santé ! Que nous sommes loin d’un Lamartine et de ses pareils, pour ne pas remonter plus haut ; loin de ces hommes aux cœurs ouverts, aux mains fraternelle meut tendues, de ces âmes qui vibraient à toutes les manifestations de beauté, de bonté, de grandeur, d’où qu’elles vinssent et quelle que fut la race qui en dotât le trésor commun de l’humanité !

Si l’orthodoxie nationaliste exigeait cette misérable abdication de nos coutumes séculaires ; si elle devait étouffer le cri des libres esprits de tous les temps : Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ; — si elle devenait institutrice de haine et d’incompréhension, je sais des gens qui n’accepteraient a aucun prix sa servitude. Triste philosophie, qui fonderait l’affirmation de la personnalité nationale sur cet axiome : « Je hais, donc je suis ! « Aussi faut-il s’efforcer d’éclairer les patriotes entraînés par une réaction légitime dans son principe, nécessaire peut-être pour nous libérer d’autres jougs encore plus humilians. Répétons-leur à satiété les argumens irréfutables dont nous faisions usage, dans la phase purement littéraire d’une controverse qui a changé d’objet et non de nature.

Je les résume une fois de plus. Le génie français n’a jamais craint de s’altérer en s’enrichissant. Rien n’est plus opposé à la tradition nationale que la claustration et la diète ; nos pères ne pratiquèrent pas l’abstinence, ils n’eurent pas l’horreur des mets étrangers. Ils ont emprunté de toutes mains, par tout pays, en tout temps, avec Ronsard et Montaigne, avec Corneille et Molière, avec Le Sage et Voltaire, avec Chateaubriand et Victor Hugo. Ce bel appétit, et aussi celle libéralité qui rend à tous les richesses, refrappées à notre coin, qu’on avait prises à fous, ce sont les conditions mêmes de notre vie normale : vie littéraire, vie industrielle, vie sociale. Si vous redoutez l’intoxication étrangère, c’est que votre estomac débilité ne peut plus digérer : c’est qu’il n’assimile plus les alimens pour les transformer en substance nationale ; en ce cas, peu importe le régime qu’on vous prescrira : vous êtes condamnés à mourir d’indigestion ou d’inanition.


IV

Eh quoi ! s’écrieront des amis suffoqués, c’est donc la thèse du cosmopolitisme que vous plaide/ ? — Non. Il n’est pas si