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LE DUC DE BROGLIE


Si la Revue des Deux Mondes n’avait à regretter, en la personne du duc de Broglie, que le plus ancien et le plus illustre de ses collaborateurs, il n’est pas un de nos lecteurs, et des siens, qui ne partageât nos regrets, et qui ne se fît un honneur autant qu’un devoir de s’associer à notre deuil. C’est en 1848 que le duc, alors prince Albert de Broglie, avait commencé d’écrire dans la Revue des Deux Mondes. C’est ici qu’ont paru ces admirables études, — sur Frédéric II, sur Louis XV, sur Marie-Thérèse, — qui ont renouvelé l’histoire diplomatique du XVIIIe siècle. C’est encore la Revue des Deux Mondes qui publiait, il n’y a pas trois mois, son dernier article, dont le titre : le Dernier Bienfait de la Monarchie, résumait d’une manière si discrète et si mélancolique la foi qui fut celle de sa vie tout entière. Et, pendant ce demi-siècle, non seulement le duc de Broglie ne s’est désintéressé de rien de ce qui touchait à cette maison ; mais il l’a vraiment aimée, d’une affection égale et vigilante, inquiète parfois, mais toujours libérale, je veux dire qui permettait aux autres plus de liberté qu’il n’en revendiquait pour lui-même, et qui finissait toujours par tout ou presque tout pardonner au talent. Tel était en effet l’un des traits de cette haute et souple intelligence : je n’ai connu, je crois, personne qui fût plus sensible au talent, ni qui mît plus de bonne grâce, de coquetterie même à le reconnaître, et de chaleur à le louer, jusque dans les adversaires de ses idées.

Le moment n’est pas encore venu de retracer la carrière politique du duc de Broglie. Mais l’histoire, un jour, lui rendra justice ; et, déjà, nous pouvons dire qu’aucun homme public, en ce siècle, ne s’est inspiré d’intentions plus désintéressées, plus nobles, ni plus françaises. S’il s’est trompé, — ce que je ne sais pas, ou plutôt ce que je ne crois pas, — l’avenir en décidera ! Mais nous pouvons dire qu’en ce cas il y a donc des manières de se tromper qui honorent singulièrement un homme. Élevé qu’il était par sa naissance, par sa fortune, par son illustration personnelle, par l’aristocratie de ses goûts, par la noblesse de son caractère, au-dessus des ambitions vulgaires, la politique du duc de Broglie n’a toujours eu en vue que le bien de la