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L’ENCYCLOPÉDIE.

cessaire de l’étude de ses besoins, et ne devenait pas, sitôt qu’on la considère ainsi, l’étude la plus importante qu’on puisse faire. La philosophie se réduit pour l’Encyclopédiste à l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire, dans son esprit, à la revue des rêves, chimères, visions et billevesées de l’humanité. L’histoire est, me dira-t-on, fort estimée de l’Encyclopédiste. Assez, en effet, mais dans un esprit qui en vicie parfaitement l’étude et qui tend à la rendre assez inutile. Jusque-là, l’histoire était considérée comme féconde en leçons pour les rois, les grands et les peuples, et cette formule entre dans toutes les définitions qu’on en a données jusqu’au second tiers du XVIIIe siècle. Pour l’Encyclopédiste, l’histoire n’enseigne rien, si ce n’est à quel point l’humanité est restée dans la barbarie jusqu’à l’apparition de l’Encyclopédie, et par conséquent elle ne donne aucune leçon, sinon celle-ci, qu’il est extrêmement inutile de l’étudier. Il n’y a rien qui puisse davantage détourner de l’étude de l’histoire que la conviction que l’histoire est tout entière à effacer et qu’il ne faut la continuer d’aucune façon et qu’on peut ne pas la continuer. L’histoire nous devient ainsi quelque chose d’extérieur et d’étranger. On n’a plus qu’une raison d’y jeter quelque coup d’œil, c’est le plaisir qu’on éprouve à contempler le spectacle de folies dont on est exempt. Et cette raison ne laisse pas d’être assez forte, les jouissances de l’orgueil étant assez vives ; mais on se lasse assez vite de ce genre de satisfaction, quand il coûte une certaine peine, et l’élève de l’Encyclopédie est presque forcément un homme qui se détournera de l’étude de l’histoire comme d’un divertissement, à la fois très vide et un peu amer. C’est un homme né pour Rousseau, lequel fut si antihistorique qu’il fut préhistorique, non seulement dans ses rêves, mais dans ses démonstrations politiques. Le refroidissement, si je puis ainsi dire, des études historiques, de 1760 à 1815 environ, est un des faits les plus significatifs de l’histoire de notre civilisation, et c’est au moins en partie à l’esprit encyclopédique qu’on le doit.

Et enfin, de toutes les sciences morales, la morale elle-même est celle que le groupe encyclopédique a le plus négligée. Je n’en chercherai point la preuve dans les ouvrages immoraux de Diderot, qui n’ont paru en librairie que très longtemps après la date de l’Encyclopédie et pour la plupart au courant du XIXe siècle ; mais il est remarquable à quel point l’Encyclopédie elle-même est sèche, quand elle n’est pas absolument muette, sur ces ques-