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main-morte, dans la conception d’une expropriation avec indemnité préalable ; ils s’imaginent que la présence à Manille d’un archevêque de leur nationalité aiderait à résoudre les conflits pendans entre séculiers et réguliers, aussi bien qu’à calmer l’impatience des indigènes ; ils oublient que, façonnés par d’autres mœurs et en habituelle communauté de caractère et de tendances avec un clergé de même origine, les évêques américains ont rencontré plus d’une difficulté sur le sol même des Etats-Unis ; ils ne se doutent pas que, mis aux prises avec des prêtres d’un autre sang et de traditions différentes, ces mêmes hommes risquent fort de n’exercer qu’une autorité nominale et de ne point parvenir à faire prévaloir leurs vues et leurs doctrines. Bref, inconscience absolue du milieu où ils ont à se mouvoir et des nécessités de la politique ecclésiastique : voilà où en sont, après plus de deux années d’occupation, les nouveaux maîtres des Philippines.

Que les Américains aient été de bonne foi dans leur conquête, qu’ils aient été convaincus qu’il suffirait de leur présence dans l’Archipel, avec leur patrimoine d’idées démocratiques et de mœurs libres, pour tout concilier : cela n’est pas en discussion. Qu’une fois placés en face des résistances locales et sans se rebuter de la prolongation de la lutte, ils aient fait un effort considérable et impartial pour s’initier aux données essentielles de leur tâche et découvrir les méthodes adéquates pour s’en acquitter avec honneur : le rapport de la Commission de 1899 en fait foi. Mais qu’ils aient échoué jusqu’ici dans leur entreprise, nul ne le peut contester. Et cela tient surtout à ce que, pénétrés de la supériorité de leur civilisation, ils n’ont pas assez bien su discerner, suivant les expressions textuelles de leurs enquêteurs, « ce que sont les Philippins, ce que leur nature propre leur