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Nord. Il les lui envoie, le 1er novembre, quand vient de s’ouvrir la période des revers. Elles sont spontanées et plus sincères que ne sont fondés ses griefs contre Pichegru, dont on n’y trouve pas d’ailleurs la moindre trace.

« Tu as su, mon camarade, que le défaut de subsistances et de moyens de transports m’a forcé à me retirer de la rive droite du Mein sur la rive gauche du Rhin. L’ennemi, ayant profité de cette retraite, a attaqué et forcé les lignes de Mayence, quoiqu’elles fussent renforcées de douze bataillons que j’y avais envoyés. Je ne sais sur quel point, l’armée de Rhin-et-Moselle a fait sa retraite. Mais l’ennemi menace de se porter sur la Moselle et a coupé toute communication entre Pichegru et moi. Il s’est présenté, à mon avis, deux moyens pour forcer l’ennemi à repasser le Rhin, celui de repasser ce fleuve moi-même et de me porter sur Francfort, ou celui de me porter sur le flanc de l’ennemi par la rive gauche du Rhin. Mais, pour exécuter l’un ou l’autre de ces deux projets, il faut ce qui m’a manqué, lorsque j’étais sur le Mein : des chevaux et du pain. »

Voilà donc la vérité, confessée par Jourdan. S’il a été vaincu, c’est que les moyens de vaincre, il le déclare, lui ont manqué. Cet aveu est à la décharge de Pichegru, qui, de son côté, n’est pas moins explicite.

« Me voici, mon cher ami, dans une vilaine position, mande-t-il le 5 novembre à Moreau, ayant les deux armées autrichiennes sur les bras, Clairfayt en front, Wurmser en flanc. Si l’armée de Sambre-et-Meuse ne vient promptement à mon secours, je ne pourrai résister. Les lignes de Mayence ont été forcées. Une partie des troupes s’est mal et peu battue. Une division a fait le jour même une retraite en fugue[1] de douze lieues, et, si l’ennemi eût su en profiter, je ne sais ce que serait devenu ce corps d’armée que je suis venu recueillir de Mannheim derrière la Pfrimm avec quelques renforts que j’ai amenés. Je suis loin d’être tranquille dans cette position, qui n’est naturellement pas bonne,

  1. La 8e division commandée par le général Courtot. « Ce général, à qui avait été dicté un plan de retraite en cas de malheur, ne s’y conforma pas ; il ne communiqua avec aucun général. Sa division était absolument débandée et commit toutes les horreurs et brigandages possibles. La cavalerie ennemie put se jeter sur le centre droit de la 9e division (Saint-Cyr), qui fut sauvée par une charge du 2" chasseurs, qui fut à son tour accablé par les forces sans cesse accrues. Rapport du général Schaal sur l’affaire du 1er novembre, qui conclut que c’est « à la lâcheté d’une partie des troupes » qu’il faut attribuer la défaite.