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la plupart des grandes dissensions politiques et sociales, il y eut un conflit religieux, l’antagonisme de deux sectes : celle de la Raison et celle de l’Être suprême.

Après la délivrance commune, Fouché rentre dans l’ombre. On ne le traque pas, mais il dégoûte : il va se blanchir à l’écart. Se blanchir et s’enrichir. Il a l’instinct des animaux qui se cachent pour changer de peau, quand vient le temps de la mue. La seconde période de la Révolution commence, celle où le jacobin assagi se nantit. Pauvre jusqu’alors, l’homme qui limitait le revenu d’un républicain à quarante écus n’est pas d’humeur à rester en retard sur ses congénères. Barras, qui l’a pris en gré, lui abandonne la desserte de sa table, quelques fournitures d’armées. En 1796, après une mission obscure sur la frontière d’Espagne, on le voit en rapports d’affaires avec les grands soumissionnaires, Ouvrard, Haingnerlot. Il pose péniblement les assises de l’énorme fortune qu’enfleront plus tard les libéralités impériales et les facilités du ministère de la police.

Ce ministère qui semble expressément créé pour son génie, Fouché s’y incruste enfin quand il a fait peau neuve, en 1798. On entre dans la troisième période, celle où le jacobin assagi et nanti cherche un général. Fouché cherche comme les autres ; il tâte Hoche, qui lui manque trop tôt dans la main ; Joubert, qui lui plaît mieux, et avec lequel il pousse les choses fort loin. Il n’avait rien préparé avec Bonaparte : elle n’en est que plus admirable, la stratégie cauteleuse qu’il déploie au 18 brumaire, durant ces heures incertaines où il se réserve, ferme les barrières de Paris, les rouvre triomphalement au succès, se donne et se rend indispensable.

Passons sur la quatrième période, l’heureuse arrivée au but du jacobin devenu courtisan, collectionneur de galons, de titres et d’écus, fier de mettre au service d’une œuvre raisonnable ses vrais talens, quand il en a. C’était certes le cas de Fouché. Son rôle durant la seconde partie de sa vie est trop connu pour que j’y insiste. Ministre de l’Empereur, duc d’Otrante, seigneur de ce beau domaine de Ferrières qu’il a patiemment reconstitué, il demeure le personnage oblique et double que nous avons vu se développer : la directive de sa conduite est toujours cette peur d’une restauration bourbonienne qui talonne le votant du 21 janvier. Il se fait bien venir des émigrés, des gens de l’ancien régime, il leur prodigue les grâces individuelles ; il s’oppose de