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naturellement, et qu’il aurait dû retenir. Si nous entrons dans tous ces détails, c’est pour montrer qu’il en est du gouvernement des ouvriers par eux-mêmes comme de certains autres, où une minorité audacieuse, quelque faible qu’elle soit numériquement, réussit presque toujours à imposer ses résolutions à la majorité. Les chefs ont beau protester, il faut qu’ils marchent ; et bientôt tout le monde suit le mouvement. La grève ayant donc commencé, il ne restait plus qu’à la soutenir. Toutefois, on sentait qu’au fond de l’âme ceux qui la subissaient désiraient la terminer le plus vite possible. Ils prêchaient aux ouvriers le calme, la modération, la prudence, leur répétant que c’étaient là les véritables signes de la force, et que la victoire serait d’autant plus belle, et plus sûre, qu’elle n’aurait été compromise par aucun excès. Ce langage n’avait rien qui pût surprendre de la part des socialistes ministériels et de leurs journaux. Que ne feraient-ils pas pour éviter au gouvernement le moindre embarras ! Mais leurs adversaires habituels, les socialistes qui font profession d’être antiministériels, et par exemple MM. Jules Guesde et Lafargue, tenaient un langage analogue : ils se rendaient même sur place pour le faire entendre aux ouvriers. Ainsi donc, une grève qui a éclaté sans motif appréciable, sans raison sérieuse, sans appui officiel dans le parti, se maintient néanmoins, dure, se développe et menace de tournera la grève générale, tant il est vrai que nul n’est maître du mouvement, une fois qu’il est déchaîné.

Jusqu’à présent, l’ordre a été maintenu à Montceau. Cela tient à deux causes principales, à savoir que les ouvriers espèrent l’emporter grâce à l’appui des pouvoirs publics, et aussi qu’ils n’ont encore éprouvé aucune souffrance, ni aucune privation douloureuse. Bien que cette grève ait éclaté spontanément, les ressources ne manquaient pas. Le syndicat qui s’était organisé contre l’ancienne compagnie était parvenu à réunir des fonds en quantité assez considérable. Son activité avait été accrue par la concurrence, ou la rivalité qu’il avait rencontrée de la part d’un autre syndicat. Nous avons dit, en effet, qu’il y en avait deux à Montceau : on les appelle, tantôt le syndicat numéro 1 et le syndicat numéro 2, tantôt le syndicat rouge et le syndicat jaune. Cette seconde appellation tend à prévaloir ; on l’étend aux ouvriers qui font partie de l’une ou de l’autre organisation, de sorte qu’il y a à Montceau les rouges et les jaunes. Les premiers sont de beaucoup les plus nombreux : ce sont eux qui ont décidé la grève, ou qui, après s’y être ralliés, cherchent maintenant à l’imposer à tout le monde. Les jaunes, au contraire, sont les ouvriers qui veulent travailler, et qui se tiennent à la disposition de la compagnie pour se