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la valeur qu’il avait adhéré jusqu’alors à toutes les démarches collectives, même quand il eût préféré qu’elles prissent une autre forme. Mais des réflexions d’ordre plus élevé l’engageaient à ne point dépasser les limites qu’il avait fixées, dès l’origine, à notre intervention. D’abord, avec un juste sentiment de notre dignité, il regardait comme un devoir de rester invariablement attaché à nos traditions et à nos doctrines politiques ; notre conduite, inspirée par de tels motifs, ne pouvait Aire versatile : étant sage, il fallait qu’elle demeurât ferme ; il eût été en effet bien étrange qu’après avoir affirmé « qu’il nous répugnerait profondément, ayant pris les armes autrefois pour la Grèce, de les prendre ; aujourd’hui éventuellement contre elle, » nous lissions bon marché, par timidité ou par complaisance, d’une opinion si souvent exprimée. Enfin, M. de Freycinet était convaincu qu’on pouvait obtenir la condescendance de la Grèce par des moyens plus doux ; qu’on ne les avait jamais sérieusement employés ; et qu’en lui montrant plus de confiance et d’amitié on arriverait mieux, et même plus vite, à la détourner d’une entreprise aventurée. Tant de considérations solides l’affermirent donc dans sa résolution de ne pas nous joindre à l’expédition préparée, par les Cours, quel que fût notre regret de nous séparer d’elles momentanément ; il était manifeste, en effet, que nous ne pouvions les suivre sans désavouer tout ensemble nos principes et nos déclarations.

Nous nous préoccupions néanmoins des ressources qui pourraient se présenter encore pour éviter un éclat et sauvegarder l’entente, et ce fut dans cette pensée que M. de Freycinet proposa de réunir à Constantinople une conférence qui serait chargée à la fois de mettre la dernière main à l’affaire bulgare et d’examiner « ce qu’il y aurait lieu de faire à l’égard de la Grèce, afin de ramener le calme ; dans cet État et de prévenir les hostilités. » Cette suggestion, excellente en elle-même, était quelque peu hasardée au point où en étaient venues les choses : les Puissances, médiocrement favorables à une tentative qui eût ajourné leur action sans offrir, il faut le dire, beaucoup de chances de succès, n’examinèrent ce projet que superficiellement. Il se trouva d’ailleurs qu’un fait considérable se produisit en ce moment à Londres et suspendit les pourparlers. Le ministère Salisbury subissait une crise et il était remplacé par une administration libérale : M. Gladstone devenait le chef du gouvernement.