Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire, la Grèce paraîtrait céder au déploiement des forces envoyées contre elle et n’accepterait jamais cette conclusion.

J’eus l’honneur d’être reçu par le Roi le même jour. Jusqu’alors, suivant les usages constitutionnels, je n’avais suivi cette affaire qu’avec ses ministres : les circonstances étant devenues aussi aiguës, Sa Majesté voulut bien m’appeler au Palais. Son langage fut aussi ferme qu’élevé. Vivement touché de notre initiative qu’il avait accueillie avec gratitude, intimement uni au sentiment de son peuple que nul ne comprend et n’aime plus que lui, il ne pouvait s’expliquer l’incident qui venait troubler l’accord sans que mes collègues eussent consulté leurs Cours. Maintenant, à ses yeux, tout était aventuré : comment réclamait-on avec une escadre ce que son gouvernement avait concédé de bonne grâce ? La retraite des bâtimens lui semblait être nécessaire pour que l’entente convenue conservât son véritable caractère. Sa Majesté ne se refusait pas à rechercher les expressions dont il serait possible de se servir pour y amener les Puissances, mais il fallait que le libre consentement de la Grèce fût mis hors de cause, et ne parût pas imposé par l’entrée en scène des cuirassés. Le Roi, avec sa clairvoyance accoutumée, précisait ainsi parfaitement la situation : il indiquait la vraie solution, celle qui eût concilié, la volonté des Cours et l’indépendance de la Grèce. Mais ce dénouement, si simple qu’il fût, n’était guère vraisemblable : on tournait dans un cercle, les Puissances prétendant laisser l’escadre au Phalère tant que le Cabinet grec n’aurait pas pris les premières mesures de désarmement, et le Cabinet grec refusant de les prendre tant que l’escadre serait au phalère.

Nous eûmes cependant, un instant, l’espoir d’une issue. J’ai dit que M. de Freycinet poursuivait auprès des divers gouvernemens des pourparlers actifs en vue de sauvegarder la conclusion dérangée par l’arrivée de la Hotte. Notre ambassadeur à Londres, M. Waddington, trouvant chez lord Rosebery des tendances un peu plus douces, les encouragea de tous ses efforts, et celui-ci consentit enfin à admettre que, si le gouvernement grec déclarait que, « cédant aux conseils de la France, il prenait l’engagement de désarmer à bref délai, » l’Angleterre « se tiendrait pour satisfaite. » Je reçus et j’exécutai immédiatement l’ordre d’insister avec la dernière énergie auprès de M. Delyannis en faveur de cette suggestion : mais je ne pus parvenir à le convaincre complètement. Il estimait que le fait capital, à savoir la