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La règle, d’une manière générale, pourrait être posée ainsi : au XVIIIe siècle, et jusqu’à l’application du moteur à vapeur, l’industrie est nécessairement concentrée par régions suivant les circonstances physiques et économiques, mais dispersée dans chaque région suivant les circonstances naturelles de la population. Ainsi, l’industrie des draps est comme concentrée dans le Languedoc, et dans les pays de Sedan, de Rouen, d’Amiens, d’Abbeville ; celle des toiles en Beaujolais et en Bretagne ; celle des soieries dans la région lyonnaise. Mais, des 25 100 métiers hallalis que compte, vers 1750, la Picardie, il n’y en a guère que 6 000 au 6 500 dans les villes[1], le reste est épars dans les campagnes, où ils font vivre 200 000 personnes. En 1760, tout autour de Rouen. 45 000 personnes travaillent pour le compte de 12 maîtres seulement[2] ; mais, également ici, la plus grande partie de ce personnel est éparse[3].

Il serait facile, — s’il n’était aussi fastidieux, — d’accumuler des chiffres qui, d’ailleurs, n’ajouteraient rien à la démonstration. Une seule chose en doit ressortir ; c’est qu’en somme, sauf quelques exceptions qui, comme à l’ordinaire, rendent la règle plus certaine et plus évidente, l’industrie, en France, au XVIIIe siècle, est pour ainsi dire à l’état sporadique. Elle est comme semée à travers les provinces, d’un bout à l’autre du pays ; elle est partout et elle n’est nulle part ; on vient, en de certains centres, chez le sieur un tel ou le sieur un tel, chercher le travail et la matière première, qui se disséminent et s’éparpillent après de tous côtés.

Même pour les exceptions qui méritent d’être citées, et là même où le travail s’exécute sur place, en un seul lieu, on vit alors sous un régime qui n’est encore ni celui de l’usine, ni celui de la grande industrie. Non plus, en effet, que la grande

  1. 5000 à Amiens, 1 000 à Abbeville.
  2. 34 000 fileuses ; 9 000 tisserands, 600 découpeurs, 300 restoupeuses, 700 femmes dans les blancheries et autres services.
  3. Il en est de même des 10 000 personnes qu’occupent à la fabrication du drap, dans la région de Givonnes, en 1756, 4 fabricans privilégiés avec 390 métiers. A Lyon, en 1753, on compte 10 000 métiers et 60 000 canuts ; et l’industrie du ruban, à Saint-Etienne ou à Saint-Chamond, en 1755, emploie 26 000 personnes. — Germain Martin, ouv. cité, p. 120-121.