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Ce n’est guère que vers 1750, — cette date marque décidément une ère, — que l’on voit se fonder des manufactures où apparaît ce type, l’ouvrier mercenaire, qui ne pouvait apparaître qu’avec l’usine et dans l’usine, ou, pour être complètement exact, qui ne pouvait apparaître en grand qu’avec les machines en grand. Partout en France, dans toutes les provinces et toutes les industries, il en est à peu près ainsi : la très forte majorité, sans comparaison, des classes qui travaillent et qui produisent, est faite de ces artisans, ni riches, ni pauvres, d’une condition comme d’une position moyenne, ayant chez eux un métier ou quelques métiers, parfois sans compagnon et parfois avec un ou quelques compagnons. Cela est si vrai qu’à prendre les choses dans l’ensemble, on ne peut même pas dire au pluriel : « les classes qui travaillent et qui produisent ; » il faut dire « la classe » au singulier, car, en vérité, elles n’en font qu’une ; le patron et l’ouvrier se touchant et se confondant en ce point intermédiaire, l’artisan, il n’y a point, au pied de la lettre, de « classe patronale » et il n’y a point de « classe ouvrière. » Mais, d’autre part, puisque l’industrie est répandue, disséminée dans les campagnes, et que le tisserand a son champ qu’il cultive, ou mieux que c’est le cultivateur qui se fait tisserand à ses heures, il n’y a pas non plus, en face d’une classe agricole, une classe industrielle. Patronale et ouvrière, industrielle et agricole, ces classes aussi sont modernes ; et s’il y en avait d’autres auparavant, noblesse, bourgeoisie, peuple, ce n’étaient pas celles-là ; modernes donc comme la grande industrie, comme l’usine, comme le patron et comme l’ouvrier.

Longtemps, en cet éparpillement du travail, les manufactures appartenant au roi et les manufactures dites royales ou en possession d’un privilège du roi furent seules ou presque seules à représenter l’industrie concentrée ; mais, vivant surtout d’exemptions et de subventions, aussi bien leurs directeurs que leurs employés à tous les degrés sont plutôt des fonctionnaires que des patrons ou des ouvriers[1]. Ce n’est que lorsque la

    avec sa femme ou avec un et parfois plusieurs garçons. » — Voyez Germain Martin, ouvr. cit., 236-237. Cf. du même, l’Industrie et le Commerce du Velay aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 140 à 194. — Justin Godart, l’Ouvrier en soie, monographie du tisseur lyonnais, 1er  partie, la Réglementation du travail (1460-1731), Lyon, Bernoux et Cumin, et Paris, à Rousseau, 1899.

  1. Voyez Augustin Cochin, la Manufacture des glaces du Saint-Gobain, de 1665 à 1865, Broch. in-8o, Douniol et Guillaumin, 1865.