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décrire à peu près dans les mêmes termes. Ces révolutionnaires, — ceux même auxquels la Freie Bühne reprochait leur modération et leurs concessions, — voulaient tout briser. Rappelez-vous à Heimath (Madga), de M. Sudermann, que Mme Sarah Bernhardt nous a donnée il y a quelques années. C’est une pièce « bourgeoise, » que les avancés de ce temps-là regardaient avec méfiance. Pourtant, le sens en demeurait discutable, et les spectateurs pouvaient se demander si l’auteur prenait parti pour ou contre son héroïne, c’est-à-dire pour ou contre les traditions dans ce qu’elles ont de plus strict et les « principes » dans ce qu’ils ont de plus étroit. Mais dans la Terre maternelle, qui soulève le même problème, plus important que jamais eu un temps où les changemens et le « devenir » sont si rapides, aucun doute n’est possible : M. Max Halbe se prononce nettement pour la vieille sagesse des ancêtres, que représente la tante Claire, contre les « idées nouvelles » qu’incarne son insupportable Hella, pédante, sotte, vaniteuse et prétentieuse. J’avouerai même que, pour ma part, j’ai peine à lui pardonner cette image presque caricaturale de la « femme moderne, » dont il aurait pu choisir un spécimen moins antipathique. Mais là n’est pas la question : ce qu’il importe de retenir, c’est que son œuvre est un éloquent plaidoyer pour les traditions, le foyer, la famille, contre la hardiesse d’esprit, l’ambition et les tendances « avancées. »

Si l’on conservait le moindre doute sur celle interprétation, il suffirait, pour le lever, de lire les Heimathlosen, qui ont suivi la Terre maternelle. C’est la même thèse qui revient, soutenue par d’autres moyens : Hella s’appelle Louise Berathon, est descendue de plusieurs degrés, écrit dans de vagues journaux, joint la perfidie et l’envie à ses précédentes qualités. Les journalistes mâles et femelles, les peintres et les peintresses, les musiciens et les musiciennes qu’on met en scène ne sont plus que des bohèmes lamentables, fastidieux, stupides à faire pleurer. L’abominable bourgeois qui se meut dans leur cercle, Eugène Döhring, n’est pas beaucoup plus répugnant qu’eux ; en sorte que l’intérêt et la sympathie se portent sans raison sur une pauvre petite cigale de province qu’un coup de vent jette dans cette vilaine fourmilière pour y mal finir. Si l’on lirait une « moralité » de cette pièce, ce serait celle exactement que dégage la Terre maternelle : restez où vous êtes nés, ressemblez à vos pères, faites ce qu’ils ont fait, sans chercher un mieux incertain. Méfiez-vous des