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courant, afin qu’il n’y revienne pas. La religion interdit de brûler tout de suite les gens décédés rapidement, de mort violente ou d’épidémie. Les corps doivent reposer en terre pendant quelques jours ; mais les fossoyeurs enterrent à fleur de sol et les chiens se joignent aux vautours pour déterrer les cadavres. Les abords du cimetière sont ainsi jonchés de têtes et d’ossemens à demi rongés. Faire dévorer son corps par les vautours est une sépulture noble qui procure des grâces insignes ; leur abandonner un membre est un acte méritoire. Bouddha a ordonné, en signe d’expiation, que les corps des condamnés fussent entièrement dévorés. Les corps sont brûlés en totalité ou en partie ; et les gens de distinction et de foi raffinée ne manquent pas de réserver une part quelconque d’eux-mêmes aux corbeaux, aux chiens, aux porcs ou aux vautours ; aussi tous ces répugnans animaux sont-ils légion dans le charnier, sans préjudice de la ville où ils se répandent. Le corps, quelquefois plus ou moins corrompu, est découpé sur des pierres ad hoc placées à terre. Les entrailles sont réservées à tel animal, une cuisse aux porcs, un bras aux chiens ou aux corbeaux, et le reste est disposé sur un bûcher assez maigre dont on agite les débris pour obtenir une meilleure combustion. Ailleurs, le sapareu (croque-mort), après avoir pris dans la bouche du mort, où elle a été placée, la pièce de monnaie qui constitue son salaire, lui ouvre le ventre et lui entaille les membres, puis s’écarte pour faire place aux oiseaux de proie. Les vautours rassemblés, qui guettent sur les arbres, les toitures ou le sol, s’abattent sur le cadavre, et on ne distingue plus pendant quelques instans qu’un monceau d’ailes sombres qui battent frénétiquement. Lorsque les os sont déjà presque à nu, le sapareu écarte les oiseaux avec un grand bâton, retourne le corps et entaille profondément le dos. Le nuage noir s’abat de nouveau, et quelques instans après, il ne reste plus qu’un squelette dont le bûcher a bientôt raison. Vautours, corbeaux, chiens, porcs aux ventres traînans ont eu la part désignée, les rites sont accomplis et de nombreux mérites acquis au défunt.

Ces scènes effroyables se passent à l’ombre d’arbres charmans ; les grils funéraires jonchent la verte pelouse, et des fleurs s’épanouissent en multitude autour des petits pavillons aériens, aux toits relevés en hautes pointes qui constituent les édicules de dépècement. Ici, des bières béantes disent que la dépouille de leur propriétaire a reçu sa destination terrestre ; là, deux corps