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femmes. Souvent ce pointillé blanc sur la figure et les épaules des femmes est fait avec un art élégant par raffinement et coquetterie. Un grand nombre d’enfans aussi sont passés au safran du jaune le plus doré. On dit que c’est le meilleur remède contre les moustiques. Les voyageurs feraient peut-être bien de se « safraner, » car il n’est pas plus possible de se garantir des piqûres que de ne pas les gratter ; or, dans cette chaleur amollissante, la peau est à l’état de papier de soie mouillé qu’un rien peut déchirer. C’est souvent la cause première de la plaie annamite, sorte d’ulcère, dont j’ai tant entendu parler.

Nous stoppons vers midi à Pakret, un joli nom et un joli site, sous les grands arbres et les vastes abris d’une pagode inondée que nous ne pouvons atteindre. Nos petites tables réunies sont installées sur un plancher porté par de hauts pilotis, dans une vaste salle ouverte de tous côtés, au milieu de laquelle trône un grand Bouddha. Les pagodes sont plus ou moins en fête, à cette époque de l’année. Le riz a été semé du mois de juin au mois d’août, et, en septembre, il a été repiqué dans le Delta ; plus haut dans le pays d’Ayutia, l’ancienne capitale du Siam, on ne le repique pas, et il est de moins bonne qualité que le riz repiqué. En ce commencement de novembre, il n’y a plus rien à faire, qu’à attendre la baisse des eaux : la saison s’annonce bonne. Le Siam entier s’agite et se met en fête pour porter les offrandes aux pagodes. On rencontre donc partout de grands sampangs tout pavoises de bannières rouges, pleins de pyramides d’offrandes disposées sous un pavillon d’honneur. De longues théories de bateaux portent ainsi toute une population et s’en vont à la remorque vingt et trente à la file, musique en tête, accompagnées de leurs bonzes.

Près d’un confluent, dans un remous un peu agité, on m’indique le lieu où la première femme de Chulalongkorn, sœur des reines actuelles, a péri malheureusement. C’était la plus jolie et la plus aimée de ses jeunes sœurs, qu’il a toutes épousées, selon l’usage. Or, un jour qu’elle se rendait à Bang Pa In, traînée par un remorqueur, c’était au temps où les Siamois n’avaient pas encore l’expérience de la vapeur et du remorquage, son bateau-salon fut renversé. Elle était entourée de sa cour et de ses serviteurs, de tout un peuple qui nage comme poisson ; mais personne n’avait le droit de toucher à la Reine. Scrupuleux observateurs de la loi, ils l’ont laissée se noyer sous leurs