Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bibelots, des spécimens rares de l’industrie siamoise ou laotienne. La reine actuelle a sa résidence séparée un peu plus loin, mais seule elle est admise à partager la demeure du roi. Un autre pavillon de style chinois ne doit pas être oublié. Il a été offert au roi avec tout son ameublement, véritable musée, par ses sujets originaires du « pays des fleurs. » Je ne crois pas avoir vu une plus belle collection de la « famille bleue. » Après un court séjour à Bang Pa In, nous redescendons à Bangkok, sans nous lasser jamais d’admirer la splendide vallée du Ménam.


Ce pays est partout plein de vie et de richesse. Nous l’avons presque tenu en nos mains, à plusieurs reprises ; d’abord en 1688, où nous étions sans rivaux et dernièrement encore en 1893. La population est plus ou moins nôtre, par nos protégés : les Laotiens, les Khas, les Cambodgiens, les Annamites. Beaucoup de Chinois même réclament notre protectorat. En effet, ceux-ci supportent malaisément la façon humiliante dont les frappe la capitation. Ils ne paient qu’un tical (1 fr. 60) au lieu des 6 ticaux exigés des Siamois, et ils acquittent cette taxe pour trois ans. Mais le percepteur, ou phoukpi[1] leur donne reçu de paiement en scellant les deux extrémités d’une ficelle au poignet de chaque contribuable, qui doit conserver ce bracelet humiliant pendant les trois années consécutives. Cela révolte les Chinois, et les dénis de justice des tribunaux, les vexations des fonctionnaires Siamois les tournent vers nous. J’ai vu, tous les jours, des foules de 200 et 300 hommes, sans compter les Chinois, se presser à la Légation de France pour solliciter leur inscription. Depuis la convention de 1896 notre situation n’est plus tenable. Nous nous interdisons toute intervention armée dans la vallée du Ménam autrement que d’accord avec les Anglais ; aussi l’outrecuidance et la tyrannie des Siamois n’ont plus de limites. Ils emprisonnent nos protégés par centaines et les soumettent par milliers à l’enrôlement forcé. Ainsi violentés, ceux-ci commencent à se désespérer de notre impuissance et Uniront peut-être, comme un certain nombre d’entre eux l’ont déjà fait, par si ; ranger sous le, drapeau siamois. Nos protestations platoniques n’aboutiront à rien, et pendant ce temps les Anglais obtiennent toutes les concessions et s’emparent amiablement du pays avec

  1. Veut dire en siamois « attacher le poignet. »