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par des décrets absolus sur les choses futiles. Il a statué sans appel sur le sort du mobilier, du costume, du théâtre, de la littérature de distraction. Il y a pour les femmes un plus noble emploi de leur influence. Ce n’est pas assez de former et de déformer les modes, quand on a mission pour former ou déformer les mœurs. Ce n’est pas assez d’être le charme d’une société, quand on en peut devenir la conscience.

Les femmes, dès aujourd’hui, ont le devoir de combattre ce qui combat leurs croyances. Il leur reste à utiliser au profit de ces croyances celle force immense des respects et des dédains, des admirations et des ironies, des empressemens et des froideurs, des paroles et des silences qu’elles peuvent employer à la fortune ou au discrédit des doctrines. Il leur reste à jeter dans la balance incertaine encore le poids de leur influence, de leur nombre, de leur courage.

Quand Julien l’Apostat voulut ramener la société antique au paganisme, et eut tourné vainement contre la civilisation chrétienne les forces de la philosophie et du pouvoir, un partisan de l’entreprise, un familier du prince, un philosophe, Libanius, chercha la cause de la défaite subie par un souverain remarquable, par la cause de la raison, et par la souveraineté de l’État. Il mit à la fois son respect de la vérité et son regret de l’hommage qu’elle le forçait à rendre dans cet aveu : » Quelles femmes ont ces chrétiens ! » Après quinze cents ans, l’œuvre de Julien est reprise par un État philosophe : elle ramènerait, si elle réussissait, un nouveau paganisme. Puissent les Libanius approbateurs de l’entreprise être réduits à en raconter l’insuccès ; et ce sera l’insuccès, s’ils sont eux aussi obligés d’écrire : « Quelles femmes ont ces chrétiens ! »


ETIENNE LAMY.