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ils battent et détruisent les flottes musulmanes des sultans de Zanzibar, d’Egypte et d’Ormuz ; ils s’implantent par les armes au milieu du monde arabe et des principautés indoues. La civilisation accompagne le commerce et parfois le précède : en même temps qu’elle cherche le mystérieux Cathay, l’Europe, à l’aurore de son expansion, rêve de donner aux mondes quelle découvre ce qu’elle porte en elle de plus élevé, sa foi, son idéal religieux. Le prodigieux mouvement de conquête chrétienne que symbolise le nom de saint François-Xavier s’est accompli d’abord en suivant les routes de navigation des Portugais : du Brésil au Japon, leurs missionnaires ont pris contact avec le monde païen et, les premiers, ils lui ont annoncé l’Evangile.

Que reste-t-il aujourd’hui de cet immense effort, de toute cette gloire ? Les temps ont marché, poussant au premier rang, sur la scène du monde, des nations nouvelles et rejetant dans la pénombre d’un demi-oubli l’œuvre des Portugais. Un empire sorti d’eux, mais séparé d’eux et suivant, avec ses propres forces, une carrière indépendante, le Brésil ; Madère et les îles du Cap-Vert ; sur la côte de Guinée, un lambeau enclavé dans les possessions françaises ; dans le golfe de Guinée, deux îles, San-Thomé, la perle des colonies portugaises, et l’île du Prince ; sur la côte ouest de l’Afrique, l’Angola, c’est-à-dire une vaste étendue de rivage avec un « arrière-pays » important ; sur la côte est, le Mozambique, avec ses baies magnifiques et ses plateaux salubres ; aux Indes, trois petits comptoirs, et un en Chine, Macao ; en Malaisie, enfin, la moitié de Timor, — voilà aujourd’hui de quoi se compose tout le domaine colonial du Portugal. Il est sans doute encore vaste, trop vaste même, peut-être, pour la métropole ; mais il est fait de débris épars, de pièces décousues qui ne seront jamais reliées ; plusieurs d’entre elles ne sont guère, pour emprunter une expression à la langue des physiologistes, que des colonies témoins ; les meilleures elles-mêmes, miettes d’un empire disparu, vestiges d’une antique splendeur, ne semblent appelées qu’à un médiocre avenir, parce qu’elles ne pourront jamais ni se rejoindre, ni constituer un empire. Le souffle a manqué au Portugal pour mener à bien son œuvre.

S’il ne subsistait, des vers de Camoëns, que des fragmens sans suite, le Portugal pourrait encore, de leurs strophes sonores et poétiques, nourrir et magnifier son âme nationale, mais il serait impuissant à créer de nouveau les Lusiades. Le temps a épargné