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du dédaigneux ou de l’indifférent, feignent de dormir à poings fermés, dès qu’ils entendent la porte glisser dans ses rainures.

— Excusez-moi, dit Imamurasaki, si je viens à cette heure tardive.

— Je ne vous en veux pas, oïran, répondit Naô. Vous n’êtes point ma femme légitime et il ne serait pas juste que je vous eusse toute à moi. Ne craignez point que je me fâche pour une telle misère.

— Je vous remercie, Naô-san, mais, puisque nous voici seuls et les seuls éveillés dans cette maison, permettez-moi de vous faire une demande.

— Parlez.

— Je désirerais savoir quelle est votre situation.

— Ne vous l’ai-je point dit ? Je suis un ronin des pays lointains et l’on m’avait tant rebattu les oreilles des splendeurs de Yedo qu’en vérité j’y fusse venu même sur les genoux. Pendant que j’y quête une aventure heureuse et profitable, peut-être la bienveillance d’un daïiuio, j’apprends à connaître le Yoshiwara, afin d’en conter plus tard aux gens de ma province les usages et les enchantemens.

Imamurasaki hocha la tête.

— Je ne vous crois point, fit-elle. Ce n’est ni la simple curiosité, ni l’amour qui vous amènent ici.

— Si je ne vous aimais, reviendrais-je donc tous les soirs ?

— Vous cherchez autre chose ou une autre personne que moi. Ah ! Naô-san, n’ayez pas peur que je vous trahisse ! Vous m’avez rendue fière aux yeux de mes compagnes, car jamais les plus belles n’ont rencontré d’amant plus assidu. Je suis votre obligée dans celle vie et dans l’autre, et j’ai conçu pour vous une grande affection. Et l’oïran poursuivit plus bas : « — Voulez-vous toute ma pensée, Naô-san ? Vous êtes en état de vengeance.

— Chut ! chut ! murmura Naô dont les yeux firent le tour de la chambre. Ne disons point de paroles inutiles. Pourquoi supposez-vous que je guette une vengeance ?

— J’ai l’expérience des hommes. L’autre nuit, comme vous donniez profondément et que je vous ai réveillé d’une voix forte, vous avez pris aussitôt l’attitude d’un samuraï qui se met sur ses gardes. De ce moment, j’ai tout épié, vos gestes, vos regards, votre inquiétude. Ce soir même, il a suffi d’un léger froissement de fer pour rompre votre sommeil. Si je ne me suis pas abusée,