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— Pourquoi vous en aller ? Restez encore. Vous reverra i-je ce soir ? Demain ? Après-demain ?

Mais notre Imamurasaki était une personne rare.


III

Naô chercha donc ailleurs son introuvable ennemi. Il parcourut dans tous les sens et du matin au soir l’immense ville de Yedo. Parfois il rôdait autour de leucémie shogunale dont les douves et les larges murailles se développaient à l’infini. Les princes de l’empire en traversaient les ponts, précédés d’un cortège magnifique, et le jeune homme, dissimulé derrière un arbre, observait les visages. Parfois il s’attardait devant les longs bâtimens noirs, où, sur le bord des rues, les Daïmios casernaient leurs hommes d’armes. Par les fenêtres ouvertes, on entendait un cliquetis de sabres ; des samuraïs se promenaient dans la cour de la résidence, et d’autres debout, des deux côtés de la porte, en surveillaient l’entrée. Mais plus souvent encore, mêlé à l’incroyable foule qui hantait le boulevard Ginza par où les provinces du sud débouchaient dans la capitale du Shogun, le jeune rônin fouillait de ses yeux impatiens les escortes des grands seigneurs et des nobles dames portées en palanquin. Et, comme le ciel de septembre était d’une douceur merveilleuse, toutes les nuits des barques enguirlandées de lanternes égrenaient sur le fleuve et les canaux leurs chants, leur musique et leurs fleurs de lumière. Mais pas plus aux fêtes qu’au silencieux faubourg de Honjô, où, par-delà le Sumida-gawa, les gentilhommières s’espacent entre les temples et les bonzeries, pas plus aux quartiers des marchands que dans les tristes banlieues, Naô ne releva la piste du bretteur de Wakayama.

Les érables d’octobre commencèrent à changer de couleur, et déjà l’on croisait dans les rues des femmes qui, la tête enveloppée d’une étoffe de coton, s’en allaient prier Ebisu, le dieu de la Fortune, car, en ce mois, tous les Kamis japonais ont déserté leurs propres autels et font une retraite au grand temple d’Izumô ; mais le seul Ebisu ne les suit pas et ne répond point à leurs appels, parce qu’il est sourd. Les espérances de Naô semblaient quitter son âme, comme les dieux avaient quitté la ville, n’y laissant qu’une vague confiance dans une fortune que nos prières ont assourdie.