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d’amour. Et le chemin d’Asakusa était plein de ces lanternes errantes et de ces ritournelles qu’interrompait parfois le reniflement des chevaux. Naô marchait si vite que ses pieds frôlaient à peine la terre, et il murmurait entre ses dents : « Je la tuerai ! Demain, demain je reviendrai et je la tuerai. Père, nous serons vengés : vous d’abord, moi ensuite ! » Mais, arrivé au quartier d’Asakusa, il erra longtemps et maudissait la nuit sans lune, quand il reconnut dans une rue déserte les coups de bois sec dont se bûchaient des escrimeurs. Au seuil de la maison, d’où s’échappait ce bruit retentissant, un baquet d’eau pâle miroitait sous la lumière d’une lanterne pointe. Il dégaina son sabre et l’y plongea, puis, après avoir disposé ses vêtemens de façon à ne pas en être incommodé pendant la lutte, il cria :

— Je demande qu’on m’ouvre !

Par la porte entre-bâillée, une voix répondit :

— Qui êtes-vous ?

— Un étudiant. Le maître est-il chez lui ? Je désire le voir.

— Attendez.

Quelques instans après, la même voix revint et dit :

— Mon maître est en train de donner une leçon et ne peut vous recevoir. Il vous prie d’accepter ces deux sen qui ne sont rien. Prenez-les pour acheter une paire de sandales.

— Je ne suis point venu mendier le prix d’une paire de sandales. Dites au maître, s’il vous plaît, qu’un rônin de Wakayama, Shimizu Naô Saburô, veut lui parler.

— Soit ! Attendez.

— Ah ! c’est Shimizu, prononça une autre voix dans l’intérieur de la maison. C’est bien : amenez-le ici.

Naô entra, la parole haute, mais, quand la porte se referma derrière lui, le cœur commença de lui faillir. On l’introduisit dans une salle où il aperçut vaguement sur les cloisons éclairées aux lueurs des torchères de grandes ombres d’escrimeurs, et, au milieu de la salle, un homme épais et fort appuyé sur une lance de bambou.

— Soyez le bienvenu, monsieur Shimizu, dit cet homme. Ne vous gênez pas : avancez, je vous prie.

— Taisez-vous, Tsuruga ! s’écria Naô. Voilà cinq ans que je te cherche, assassin de mon père, qui t’es sauvé ! Enfin je te trouve et je pourrai faire la prière devant la tablette de ta victime. Nous allons nous battre, sur l’heure.