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premières heures, à la « tranquillité apathique[1] » des jours suivans, une adhésion active, un acquiescement progressif, une vibration continue, une obéissance passionnée. Il poursuivra ce but patiemment, avec d’infinies précautions, avec des habiletés et des audaces, jusqu’au jour où un grand coup d’éclat, une victoire annonciatrice de la paix, viendra couronner le succès. La conquête effective de Paris par Bonaparte suivit plutôt qu’elle ne précéda Brumaire ; de toutes les œuvres accomplies par le Consulat naissant, c’est l’une des plus curieuses et des moins connues.


II

Dans leur salle du Luxembourg, à la place encore chaude des Directeurs, les trois Consuls s’étaient mis à délibérer. Roger-Ducos vivait depuis six mois dans l’ombre de Sieyés ; brusquement, il passa dans celle de Bonaparte. Il lui dit : « Il est bien inutile d’aller aux voix pour la présidence, elle vous appartient de droit. » À ces mots, Sieyès fit la grimace. Bonaparte s’en aperçut et, d’un mouvement d’esprit prompt comme l’éclair, s’arrêta immédiatement à un parti qui marquait sa primauté et ménageait en même temps les susceptibilités de son collègue. Il prit le fauteuil, mais ce fut pour demander qu’il n’y eût point de présidence permanente. On décida qu’à tour de rôle et par ordre alphabétique chacun des trois gouvernans serait Consul de jour ; en cette qualité, il présiderait la séance, signerait le premier les arrêtés, se tiendrait pendant vingt-quatre heures au Luxembourg en permanence, pour conférer avec les autorités et pourvoir aux mesures d’urgence. Bonaparte inaugura cette fonction ; après quoi, le roulement s’établit[2].

En fait d’action directe et gouvernante, Sieyès tenait moins aux réalités qu’aux apparences. Ses goûts, ses aptitudes le portaient à se confiner dans l’élaboration de l’avenir, à préciser sa fameuse constitution, à la faire accepter par ses collègues et par les commissions législatives ; il se réservait le pouvoir

  1. Rapport de police du 12 pluviôse. Archives nationales, AF, IV, 1329.
  2. Eclaircissemens inédits de Cambacérès, communiqués par M. le comte de Cambacérès. Ainsi se concilient la version primitive, accréditée par Bonaparte. et la version rétablie par M. Aulard d’après les pièces officielles : Registre des délibérations du Consulat provisoire, p. 5.