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l’interpréter comme le triomphe de la modération ; ils pourraient an besoin révoquer les fonctionnaires par trop odieux, fermer quelques clubs, mais ils n’étaient autorisés à user de ces pouvoirs qu’avec une extrême circonspection ; surtout, ils devaient prêcher l’oubli des dénominations de parti et des appellations injurieuses, travailler à l’extinction des haines, à la consolidation de la République par l’apaisement. En certains pays, leur tâche serait difficile, car l’effervescence qui s’était d’abord manifestée dans les villes passait maintenant dans les campagnes, sous forme d’agitation presque anti-sociale. Comme une traînée de poudre, le bruit s’était répandu dans un assez grand nombre de départemens qu’aucune charge publique ne devait survivre à l’existence politique des Directeurs ; puisque Bonaparte, l’homme du miracle, avait chassé ces gens-là, tous les maux devaient cesser ; plus d’impôts à payer, plus de conscription. Jusqu’aux portes de Paris, dans le canton de Pierrefite, des villages entiers se levaient contre l’impôt ; un peu plus loin, les habitans refusaient d’acquitter la taxe destinée à l’entretien des routes et maltraitaient les agens de perception. Ces paysans avaient peine à comprendre que la chute du gouvernement persécuteur n’équivalait pas à la suppression de tout gouvernement. Fait singulier et pourtant incontestable, l’apparition du grand faiseur d’ordre, considéré avant tout comme briseur de chaînes et metteur en liberté des Français esclaves de la faction révolutionnaire, provoqua d’abord une recrudescence de désordre.


ALBERT VANDAL.