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en un finale harmonieux. Plutôt que de créer par la fugue, par le contrepoint ou le leitmotiv, une ordonnance et comme une discipline idéale, elle recourt aux effets violens, aux à-coups terribles, à la pesée, à la poussée colossale, à l’accumulation et à l’entassement. En résumé, quand on a relu tour à tour les premières scènes de Boris Godounof dans le drame de Pouchkine, puis dans la partition de Moussorgski, il semble que le musicien ait accusé prodigieusement les traits indiqués par le poète. Si forts que soient les mots, ils ne nous donnent plus que l’impression d’un programme ou d’un sommaire ; c’est dans les notes que nous trouvons la réalité et la vie.

Mainte scène de Khovantchina, comme de Boris Godounof, appartient à la foule : non seulement à la foule mystique, mais à la foule martiale, et, plus encore peut-être que les pieux cantiques des Raskolniki, j’admire ici toute une série de chœurs soldatesques, étincelans de verve, de joie séditieuse et de colère. Enfin, le chef-d’œuvre de ce qu’on pourrait appeler la manière populaire ou publique de Moussorgski, c’est le dernier tableau de Boris, ou du moins celui qui, dans l’ordre primitif et malheureusement altéré de l’ouvrage, était le dernier. Moussorgski s’est permis de modifier le dénouement du drame de Pouchkine, qu’il faut d’abord rappeler. Le tsar Boris vient de mourir. Sa veuve, avec ses deux enfans, le tsarevich Féodor et la petite princesse Xenia, sont prisonniers dans le palais du Kremlin. Une sentinelle garde la porte ; le peuple occupe la place. Les deux pauvres petits, comme « des oisillons en cage, » passent la tête par la fenêtre et se parlent tout bas. La ville, en proie au désordre, hésite encore entre les partisans du faux Dimitri, l’imposteur, et ses adversaires. Paraissent deux seigneurs, Galitzine et Massalsky. Ils entrent dans la maison.


UNE VOIX. — Pourquoi sont-ils venus ?

UNE AUTRE VOIX. — Sans doute pour mener Féodor Godounof prêter serment.

UNE TROISIEME. — Tu crois ! Ecoute donc : quel bruit dans la maison ! Des cris d’alarme… On se bat.

LE PEUPLE. — Entendez-vous" ? Un raie ! C’est une voix de femme… En haut.. Les portes sont fermées… Les cris se sont tus… Le bruit continue…

(Les portes s’ouvrent. Massalsky parait sur le perron.)

MASSALSKY. — Peuple ! Maria Godounof et son fils Féodor se sont donné la mort par le poison. Nous avons vu leurs cadavres inanimés.

(Silence d’épouvante dans le peuple.)