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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/167

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Notre ardeur sort du cabaret.
Notre gloire est à la morgue.


Sa prose eut des étincelles, dans son livre sur William Shakspeare, pour attaquer les gens de guerre ; et l’Exposition de Paris, en 1867, lui suggéra cette prophétie, qu’on ne distinguerait plus, bientôt, entre un chef d’armée victorieux et un boucher couvert de sang, et que « l’Europe entière serait le peuple du XXe siècle. » La déclaration de guerre, en 1870, lui parut être l’acte de baptême de ce peuple immense ; il prévoyait la fin de la « tyrannie, » et, dès lors, la fin des guerres, et, tout de suite après, la grande farandole des nations ; il apprêtait sa lyre pour en scander les ébats ; mais, en attendant, comme pour prendre date, il plantait dans son jardin d’Hauteville-House, le 14 juillet 1870, le chêne des États-Unis d’Europe : on peut lire, dans les Quatre Vents de l’Esprit, la pièce qu’il écrivit en l’honneur de cet arbre symbolique.

Un instant seulement, au cours des souffrances de l’année terrible, il eut l’intuition que :


Une fraternité bégayée à demi
Et trop tôt, lait hausser l’épaule à l’ennemi.


et son invective, projetée contre « ceux qui reparlaient de fraternité, » les fît courber timidement la tête :


Quand nous serons vainqueurs, nous verrons.


La victoire, hélas ! ne vint pas, et Victor Hugo, en sa volage impatience, recommença de songer aux destinées du chêne d’Hauteville-House. Pauvre grand poète, pourquoi donc plantait-il à cet âge ? La fraternité, avec les années, ne lui devint plus seulement un rêve, mais un cauchemar.

Soit qu’il s’imaginât, comme délégué de la commune de Paris, d’envoyer un message aux délégués des autres communes de France à la veille d’un renouvellement sénatorial, soit qu’il donnât un mot d’adieu à une députation d’ouvriers parisiens s’en allant visiter l’Exposition de Philadelphie, soit qu’il présidât quelque conférence démocratique, soit enfin qu’il s’ingérât, avec l’autorité du prophète, dans la besogne de ces « diplomates ventrus, » qui, au grand désespoir de Garibaldi, avaient mission de régler la situation des Balkans, Hugo répétait à satiété que la