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en enjambant ce modeste et commun échelon qui s’appelle la patrie. Alors les horizons s’étendent, les liens réels, — et, parce que réels, importuns, — s’élargissent ou se rompent ; on envisage, d’un œil superbe et paresseux, les liens tout abstraits par lesquels on se sent relié à des hommes très lointains, à des Malgaches ou à des Boxers, liens fort commodes en vérité, puisqu’ils n’obligent à rien du tout, et l’orgueil et l’égoïsme trouvent également leur compte dans ce cosmopolitisme vaporeux. Ce n’est point un maçon vulgaire, mais le grand orateur du Suprême Conseil, qui disait en 1882, dans une séance d’apparat : « La maçonnerie ne veut pas connaître les barrières qui semblent avoir été plantées là pour parquer les peuples ; elle est comme la nature, qui ne paraît avoir souci que de l’espèce ; dans notre loi maçonnique, le principe de nationalité s’efface devant le grand principe de l’internationalisme. » Voilà des déclarations quasiment officielles ; elles tombent de très haut : mesurez-en l’effet sur le cerveau de l’officier du Cantal ou du politicien de la Haute-Marne, qui doivent préparer pour leurs Frères quelque pièce d’architecture : l’officier, dans la loge d’Aurillac, déclamera contre la guerre, souriant à part lui de ses camarades qui croient faire leur métier en la préparant ; quant au député, dans la loge de Chaumont, il professera que la maçonnerie doit devenir de plus en plus internationale, se reposant ainsi, dans l’intimité de ses Frères, de ces préoccupations nationales qui sont la raison d’être de son mandat. Des brochures appropriées confirment et centuplent l’effet de ces discours : le Monde maçonnique, vers cette époque, signale un opuscule intitulé : Le Problème de la guerre, où l’on montre que la guerre n’est que le maintien de l’esclavage et qu’elle est un moyen d’opprimer les classes laborieuses. On recommande cette brochure comme « profondément empreinte de l’esprit maçonnique. » Nous sommes en 1882 ; depuis nos désastres, douze ans à peine se sont écoulés ; Gambetta et un certain nombre de républicains, se penchant sur la France pour la guérir et la relever, ont oublié leur folle jeunesse et essaient de la faire oublier ; la maçonnerie, elle, en dépit des prônes patriotiques que multiplie la loge Alsace-Lorraine, redevient ce qu’elle était en 1869, un dissolvant de l’idée de patrie.

Ce n’était pas que les déceptions lui eussent fait défaut. Nous avons dit, dans un précédent article, celles qui lui furent infligées