un ouvrage, si on ne sait rien de la vie de l’auteur, de ses opinions, de ses tendances ? N’expliquons-nous pas tout différemment une fable à peu près analogue, selon que nous la lisons dans l’Arioste, dans Ovide, ou dans le Livre des Juges ? — D’après ce que nous savons ou supposons de l’auteur, nous voyons un souci artistique chez l’Arioste, des vues politiques chez Ovide, tandis que nous prêtons une intention morale à l’écrivain sacré. Il nous faudrait connaître aussi à quelle occasion, pour quel auditoire chaque chose a été dite. Par exemple, le mot de Jésus : Bienheureux les affligés, car ils seront consolés, s’applique uniquement à ceux qui s’affligent de ne pas posséder le royaume d Dieu, et (interprétation plus contestable) le mot : Si quelqu’un le frappe à la joue droite, présente-lui la joue gauche, n’est applicable sans doute qu’aux époques d’oppression et dans un État où la justice est violée. — Nous ne savons guère enfin par quelles mains les Livres sont passés, à quelle époque exacte on en a fait un corps, puis un canon.
Telles sont quelques-unes des difficultés que soulève la méthode historique. On ne peut, par elle, espérer tout expliquer. Il faut établir quelques points, et, pour le reste, savoir ignorer, si l’on ne veut corrompre ce qui est clair en l’accommodant à ce qui est obscur. Les autres méthodes donnent, certes, une explication intégrale. Mais, seule, la méthode fragmentaire est sûre, parce qu’elle ne s’appuie sur aucune théorie préconçue, ni sur aucune autorité. Elle n’a pas d’autres sources que les textes qui lui sont soumis ; elle ne fait appel ni à la tradition du pontificat hébreu, comme le font les pharisiens, ni à la tradition plus récente du pontificat romain. Elle est indépendante, impersonnelle ; sans distinction de croyances, elle permet à tous les esprits droits de collaborer. Il est remarquable que Spinoza, qui ne soupçonna jamais la vraie méthode des sciences naturelles, fut, on peut le croire, le premier qui eut le sens profond de la critique historique.
Il ne se livre à aucune de ces conjectures personnelles qui, bien après lui, ont tenté, par leur tour paradoxal et comme artistique, des critiques tels que Renan. Les points qu’il établit sont fermes ; on peut déclarer qu’aucune de ses vues sur l’Ancien Testament n’est gravement contredite [tar l’exégèse d’aujourd’hui.
L’attribution enfantine du Pentateuque entier à Moïse était