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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/204

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Il se mire amoureusement dans le personnage de son Coningsby. C’est le jeune homme pensif et généreux qu’on retrouve au début de tous ces romans : déjà mûr pour les grandes choses au sortir de l’Université, déjà recherché dans le plus grand monde, distingué par les plus belles femmes, par les doyens de la politique qui lui en découvrent les arcanes. Petit-fils d’un pair d’Angleterre, réduit un instant à son médiocre gagne-pain de clerc d’avoué, — Disraeli avait commencé par là, — Coningsby rêve de régénérer, avec quelques amis de son âge, la constitution, le Parlement, le peuple anglais ; il arrachera le pays à « l’oligarchie vénitienne, » à la routine égoïste des grands seigneurs whigs, premiers patrons de Benjamin lorsqu’il se lança dans la mêlée. Ces novateurs ne sont guère plus tendres aux tories : la jeune Angleterre penchera vers ce parti historique, mais avec le ferme propos d’en évincer les représentans usés, de vivifier leur principe pour en tirer toutes les réformes que réclame la société moderne. Les enthousiastes constitueront un parti nouveau, irrésistible par la force et la générosité de ses idées, indifférent aux vils intérêts qui guident les politiciens des deux camps. — Espérance charmante dont s’illumine l’aube de chaque génération ; programme habituel des ambitieux, quand ils ont hâte de fusiller les vieux chefs de file des deux armées, à droite et à gauche, pour débaucher les soldats et reformer une troupe qu’ils emploieront à leur tour aux mêmes besognes. — Un hasard providentiel, aidé par l’amour, fait entrer Coningsby au Parlement : les héritages dont il avait été frustré pleuvent sur lui, car la pauvreté n’est jamais qu’une courte épreuve pour les héros de Disraeli.

Dans le roman de Sybil, où ce même jeune homme prédestiné reparaît sous le nom d’Egremont, son torysme démocratique se précise. Sybil est de 1845. Le vent du socialisme souffle déjà sur l’Europe, soulève en Angleterre les bourrasques du chartisme. Le noble Egremont nous conduit chez les ouvriers des manufactures et des mines ; il s’attendrit au spectacle de leur misère, il se promet de relever leur condition, de réconcilier « les deux nations. » Et Disraeli le fera comme il l’a écrit : ministre, chef des conservateurs, il introduira dans les cadres politiques un million d’électeurs nouveaux, il remaniera au profit des ouvriers la législation du travail. Mais que l’on considère ses fictions ou sa vie réelle, jamais baron féodal, jamais dandy