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mine, ils ont vu et embrassé plus de choses ; ils savent parfaitement que, si la grève générale n’était pas un leurre, elle serait, pour les ouvriers beaucoup plus que pour les patrons, une redoutable épreuve : plus instruits et plus prévoyans que leurs anciens camarades, ils s’efforcent de leur épargner la plus amère et la plus ruineuse des déconvenues.

Ils se gardent bien pour cela de heurter de front des préjugés avec lesquels ils sont obligés de compter. Ce n’est qu’après avoir rempli à leur égard tous les devoirs de convenance, après les avoir salués avec respect et consacrés par des discours et des votes aussi nombreux et même aussi formels que les circonstances le comportent, qu’ils reprennent en face d’eux une complète liberté. Le congrès de Lens a donné un singulier spectacle. Rien, en somme, n’a été plus terne, plus insignifiant, plus ennuyeux que ses séances ; on y a écouté la phraséologie la plus banale ; mais, pendant ce temps, les meneurs agissaient dans la coulisse avec une activité merveilleuse. Les orateurs parlaient devant un auditoire qui leur accordait une attention passive et souvent distraite, sentant bien que l’intérêt véritable n’était pas là. Pourtant, les membres du congrès, délégués des ouvriers de toutes les régions minières, les uns du Centre, les autres du Nord, et dont quelques-uns étaient venus avec le mandat impératif de voter la grève générale, éprouvaient comme un sursaut d’étonnement en entendant un orateur qu’ils avaient cru plus farouche déclarer que le congrès n’avait pas le droit de prendre des résolutions extrêmes avant d’avoir consulté, sous forme de référendum, l’unanimité des ouvriers. On a senti peu à peu que les directeurs du mouvement l’acheminaient vers cette solution, et que cette solution était un ajournement nouveau. Or, les grévistes de Montceau ne veulent plus attendre : à bout de forces et de ressources, il leur faut une solution. Qu’a voté, néanmoins, le congrès de Lena ? Si on veut revoir un peu plus haut ce qu’avait voté déjà celui de Saint-Étienne, on sera frappé de l’analogie qui existe entre les deux solutions. Certes, la grève générale a été proclamée une fois de plus, mais toujours en principe, sauf à savoir à quel moment et dans quelles conditions on passerait de la menace à l’acte lui-même. Sur ce second point, M. Basly, après avoir préparé les esprits à la proposition qu’il allait faire, n’a pas eu de peine à expliquer que ce n’était pas tout à fait du jour au lendemain qu’on pouvait réaliser une mesure aussi grave. Il convenait d’abord de donner au gouvernement un délai pour qu’il pût mettre fin à la grève de Montceau par les moyens dont il dispose, ou plutôt dont on croit