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voitures, contre les exhibitions diverses qui salissaient la voie publique et faisaient l’amusement des badauds, contre les industries interlopes dont vivaient tant de gens. Les Consuls continuaient à la fois de ménager et de soigner extrêmement Paris ; veillant de très près à son approvisionnement et à l’arrivage des vivres, ils évitaient toujours de trop réglementer. Et les journaux s’égayaient aux dépens du bureau central, qui, devant mille abus, se bornait à corriger l’orthographe vicieuse des enseignes de boutique et croyait devoir, avec un purisme pédant, proscrire les barbarismes.

Pareillement, Fouché ne touche pas à la presse. Sous le Directoire, les journaux avaient passé par des vicissitudes extrêmes. Dépourvus d’abord de tout frein, le 18 Fructidor les avait supprimés par proscription de leurs rédacteurs ou assujettis à la censure préalable ; six mois seulement avant Brumaire, le 30 Prairial les avait fait repasser brusquement de la servitude à la licence, au droit de tout écrire, sauf à répondre des délits de droit commun devant les tribunaux, qui acquittaient toujours. Cette liberté illimitée, proclamée en principe, s’était heurtée en fait à l’arbitraire directorial. Lorsqu’un journal se montrait par trop acerbe et injurieux, les gouvernans faisaient sceller ses presses et lançaient contre les rédacteurs des mandats d’arrêt, ordinairement dépourvus d’effet. Le journal émigrait dans une autre imprimerie, reparaissait sous un titre nouveau, qui n’était parfois que l’ancien titre retourné ; exemple : l’Ami des Lois, par Poultier, devenant le Journal de Poultier, ami des lois : ainsi se poursuivait la lutte d’une presse furibonde contre un gouvernement à la fois persécuteur et faible. Après Brumaire, les rigueurs apparentes cessèrent presque complètement, mais les journaux, se sentant en face d’un pouvoir qui ne frapperait plus à faux, avertis peut-être, n’osèrent plus toucher aux chefs de l’État et les tinrent en dehors de leurs violentes polémiques. La pire sévérité que Fouché eut à se permettre, ce fut d’interdire la distribution de certains journaux par la poste. Pendant les six semaines que dura le Consulat provisoire, une seule feuille, l’Aristarque, notoirement royaliste, fut menacée de poursuites. Le rédacteur et l’imprimeur avaient été d’abord arrêtés ; « mais, conformément à un second ordre du ministre, le Bureau central a remis ces deux citoyens en liberté[1], en se contentant de les admonester. »

  1. Rapport général pour frimaire et nivôse, A F, IV, 1329.