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leur défense, il est bien visible qu’il est étranger à leur profession, que son arme était surtout la parole, et qu’il n’a livré de bataille que devant les tribunaux et, plus tard, au Sénat. Il a fait sans doute, pendant six mois ou un an, son service militaire : c’était la condition pour arriver aux honneurs publics ; mais il est probable que ce fut à la façon de son ami Pline le Jeune, qui travailla dans les bureaux du gouverneur de la Syrie à faire des écritures, et qui même devait y être assez peu occupé, puisqu’il trouvait le temps de suivre les cours des professeurs de philosophie d’Antioche[1]. Ce n’était pas assez pour donner le goût et la connaissance des choses de la guerre, et il faut bien reconnaître que cette façon de « traverser, pendant quelques mois, la vie des camps, en s’y mêlant le moins possible, » disposait mal un jeune homme à prendre, dans la suite, le commandement d’une légion. Nous pouvons donc croire que Tacite, qui vraisemblablement avait fait comme Pline et comme beaucoup de jeunes gens de son monde et de son temps, ne se trouvait pas préparé à remplir, après sa préture, un emploi militaire, et qu’il gouverna plutôt une province.

Poussons un peu plus loin encore nos conjectures ; demandons-nous quelle pouvait être cette province dont le gouvernement fut confié à Tacite. Tout le monde a fait à cette question la même réponse. Nous avons de lui un ouvrage très important sur les mœurs des Germains, qui suppose qu’il avait dû voir de près les hommes et le pays dont il parle. On est donc amené à penser qu’il a dû vivre quelque temps dans le voisinage de la Germanie ; or, parmi les provinces impériales gouvernées par un ancien préteur, il n’y en a qu’une qui soit située dans cette région, c’est la Gaule Belgique ; d’où la conclusion que Tacite a dû y passer les quatre années pendant lesquelles il a été absent de Rome, et que c’est là qu’il a recueilli les notes qui l’ont aidé à composer son ouvrage.

La Germanie, pour conserver le titre qu’on lui donne ordinairement, ne fut définitivement rédigée et publiée que sous le deuxième consulat de Trajan, en 98, cinq ou six ans après que Tacite eut quitté la Gaule Belgique ; mais il n’est pas douteux qu’il n’en ait amassé les matériaux pendant qu’il la gouvernait. Comment lui serait venue la pensée d’occuper le public de ces

  1. Pline était un jeune homme rangé. Beaucoup d’autres profitaient de leur service militaire pour s’amuser : militiam in lasciviam vertunt, dit Tacite.