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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/310

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images, fait songer au protestantisme. « L’Allemagne, dit J. Grimm, était la patrie naturelle de la Réforme[1]. »

On ne sera pas surpris que les peintures morales tiennent beaucoup de place dans le livre de Tacite. Il admire sans réserve, chez les Germains, l’honnêteté de la vie de famille, la gravité du mariage, le respect qu’ils ont pour la femme, l’éducation virile qu’ils donnent aux enfans. On comprend qu’il ne puisse leur adresser ces éloges sans faire quelques retours amers sur les mœurs des Romains et des Romaines de son temps. Les adultères sont rares en Germanie : ce n’est pas comme à Rome, « où corrompre et céder à la corruption s’appellent vivre à la mode du jour. » Pour forcer un jeune homme à se marier, on n’a pas besoin de promulguer des lois sévères : « Les bonnes mœurs y ont plus d’empire qu’ailleurs les bonnes lois. » Il n’est pas nécessaire d’y exercer autour des femmes une surveillance rigoureuse : « elles vivent sous la garde de la chasteté, loin des spectacles qui corrompent les mœurs et des festins qui allument les passions. » Comme elles ne savent pas écrire, on n’a pas lieu de se méfier des mystérieuses correspondances. On ne connaît pas l’usure, les affranchis ne possèdent aucune influence particulière, les esclaves ne sont employés qu’aux champs : « c’est la femme avec les enfans qui s’occupe des soins intérieurs de la maison. » Ces contrastes sont indiqués avec tant de complaisance, qu’on s’est demandé si l’ouvrage n’était pas simplement une satire des mœurs romaines. Je ne le crois pas. Certainement, quand l’occasion se présente de gronder ses contemporains, Tacite ne la laisse pas échapper. Mais ici ces leçons de morale n’occupent que quelques chapitres, et il n’est pas possible que ce soit uniquement pour elles que l’ouvrage ait été fait. On n’a pas besoin d’aller chercher si loin les motifs que Tacite avait de l’écrire. Il voulait entretenir les Romains de nations qu’il leur importait de connaître et qu’ils avaient beaucoup de raisons de redouter. Sénèque leur disait déjà, quelques années auparavant : « Qu’y a-t-il de plus énergique que les Germains ? à ces corps vigoureux, à ces âmes qui ne connaissent pas les plaisirs, le luxe, les richesses, donnez un peu plus de tactique et de discipline ; je n’en dis pas davantage ; vous ne pourrez leur tenir tête qu’en revenant aux vertus de vos pères. » Tacite pense

  1. Je ne fais ici que résumer ce qu’a si bien dit M. Geffroy dans son livre intitulé : Rome et les Barbares.