la Germanie, qui, comme on l’a vu, était sans doute préparée depuis quelque temps. A-t-il eu quelque raison particulière de les publier à ce moment, ou voulait-il simplement tâter l’opinion, comme Salluste et Montesquieu, se faire la main par un travail plus court, pour une œuvre de plus longue haleine ? c’est une question sur laquelle on reviendra plus tard. Toujours est-il qu’il n’avait pas renoncé à son grand ouvrage et qu’il songeait toujours à l’entreprendre[1]. Seulement, dans l’intervalle, ses idées s’étaient modifiées, et, quand il se remit au travail, le sujet n’était plus tout à fait le même. Il ne voulait d’abord, que raconter « la servitude passée et la félicité présente, » c’est-à-dire faire ressortir le contraste entre Domitien et ses successeurs. Réduit à ces termes, ce n’était qu’un ouvrage de circonstance, dont l’intérêt s’affaiblissait à mesure qu’on s’éloignait de la révolution qui lui avait donné la pensée de l’écrire. Il commença par retrancher de son programme « la félicité présente, » comprenant bien qu’il ne lui serait pas aisé de parler en toute liberté de Nerva et de Trajan, et que ce n’était pas la peine de recommencer le Panégyrique de Pline le Jeune. « Je réserve, nous dit-il, ce travail pour ma vieillesse ; » ce qui était peut-être une façon polie d’y renoncer. Restait « la servitude passée ; » mais, s’il se bornait à raconter les crimes de Domitien, son livre n’était plus qu’un pamphlet et n’avait pas d’autre importance. Pour lui donner plus d’ampleur, il se décida à remonter jusqu’à la mort de Néron, et à comprendre dans son récit Vespasien et Titus, aussi bien que Domitien. Dès lors, son ouvrage changeait de caractère. Il contenait toute la seconde dynastie impériale, et formait un sujet très complet, bien limité, d’un intérêt puissant, qui conduisait de la fin des Césars au commencement des Antonins. Avec cette œuvre nouvelle. Tacite entrait dans la grande histoire.
GASTON BOISSIER.
- ↑ Il dit lui-même, au début de l’Agricola, qu’il n’a composé cet ouvrage qu’en attendant un autre : hic interim liber.