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appel, les ouvriers se présentaient par bandes aux commissaires de police, qui les renvoyaient à l’administration centrale. Le ministère les répartissait en groupes sous la direction de ses architectes, faisait chercher « sur quels terrains, à quels bâtimens on pourrait les employer[1]. »

Pour satisfaire les classes qui souffraient de moins matérielles infortunes, Bonaparte légiférait par voie de règlement. Il avait déjà mis sur pied son Conseil d’État, en le composant des hommes chez lesquels il avait reconnu le sens et l’instinct des besognes reconstituantes, le goût du travail utile, consciencieux, pratique, préféré aux discussions bruyantes ; en face des hommes de Sieyès, ce serait son équipe personnelle. Il popularisa du premier coup son Conseil d’Etat en lui faisant prendre l’initiative d’un grand acte de réparation, dont il ne voulait point laisser l’honneur aux corps politiques. Les lois des 3 brumaire an III, 19 fructidor an V et 9 frimaire an VI avaient enlevé l’exercice des droits de citoyen à tous les parens d’émigrés et aux ci-devant nobles ; ils ne pouvaient être élus à aucune fonction, participer à aucun vote, obtenir aucun emploi ; c’était frapper d’interdiction civique toute une partie de la nation, créer en France une innombrable caste de parias, de privilégiés à rebours et d’émigrés à l’intérieur. Par son premier avis, rendu le 6 nivôse et approuvé par les consuls, le Conseil d’État déclara que la constitution, en ne soumettant à aucune restriction l’exercice des droits politiques, avait implicitement abrogé toutes lois contraires. Cette façon d’interpréter le silence de la constitution pour bouleverser l’arsenal des prohibitions révolutionnaires et abolir le privilège de roture était hardie ; elle parut à certains un empiétement sur les droits de la puissance législative, mais le public ne vit que la justice et le bienfait de la mesure, le rétablissement de l’un des principes essentiels de 1789 : l’égalité devant la loi.


II

Tandis que le Conseil d’État prenait si délibérément l’avance sur les assemblées, le Tribunal, s’étant réuni le 11 nivôse et ayant élu Daunou pour président, s’occupait d’une question de costume. Pour les membres de la nouvelle législature, un acte des

  1. Rapport général du bureau central sur Nivôse. Archives nationales, AF, IV, 1329.