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Dieu, répondra-t-elle en retrouvant toute sa fierté, il ne s’agit pas de ce que je veux, mais de ce que je pense[1]. »

Vis-à-vis des assemblées, Bonaparte continuait d’affecter une impassibilité sereine et presque déférente. Avec une habileté suprême, il ménageait les formes et les apparences de la liberté. Il se donnait l’air de respecter ce droit de discussion et de contrôle qu’il détestait au fond. À ce moment, qu’on le regarde, qu’on l’écoute : c’est le langage, le ton, l’attitude d’un grand républicain.

Il dédaigne de relever les insultes et ne s’offense que des louanges. Point de réponse aux discours de Duveyrier et de Constant ; mais Riouffe l’a bassement adulé ; les journaux publient aussitôt cette note, de provenance officieuse : « On prétend que Bonaparte a annoncé qu’il refuserait sa porte à quiconque se permettrait contre lui des éloges emphatiques et ridicules. » On le pousse à chasser les assemblées ; il invite les présidens des deux Chambres à choisir librement les commandans de leur garde. On voudrait qu’il se saisît du rôle de César ; voici sa réponse : veillant à l’aménagement des Tuileries, où il se garde encore de prendre domicile, il a soin de faire placer dans la grande galerie, parmi les bustes de personnages célèbres, celui de Brutus. Mais un journal, le Rédacteur, discute et blâme ce choix : le poignard de Brutus n’a été que l’instrument d’une faction oligarchique contre un homme qui s’est imposé à l’admiration des siècles. Aussitôt, le Moniteur répond par un article de fond, par une de ces dissertations d’histoire romaine qui plaisent à l’imagination classique de l’époque ; il reproche à César d’avoir « cumulé sur sa tête toutes les dignités, tous les pouvoirs, et mis partout sa volonté à la place de la loi. » Quant à celui qui l’a frappé, il était noble et pur : « fier d’être le libérateur de ses égaux, il eût cru les offenser et s’humilier lui-même, en ne devenant que leur maître ; » et ce n’est pas l’un des spectacles les moins piquans de cette période que de voir le journal de Bonaparte prendre contre César la défense de Brutus

Cependant, l’émotion générale et les polémiques ne s’apaisaient point. Dans la cacophonie des journaux, la note dominante restait dure et cruelle aux assemblées existantes. L’idée de s’en débarrasser et de renouveler le personnel législatif prenait

  1. Dix ans d’exil, 3.