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Se brise sur lui-même et fuit, revient baiser
D’humbles pieds d’amoureux qui vont sur le rivage,
Et de nouveau cabré, lourd d’orgueil et sauvage,
Remporte des sanglots qu’il ne peut apaiser.
Tendre comme l’écho d’une invisible harpe,
Le vent me caressait du vol de son écharpe.
Sur les confins des flots vaporeux et du ciel
Le jour en s’en allant semait des violettes ;
Et, montant les degrés des extases muettes
Où Dieu mesure à l’homme un moment éternel.
Je regardais bondir sous la première étoile
Une barque rentrant au port à pleine voile.

Oh ! dis-je, vagabond des monts et de la mer.
Qui reprendras demain et toujours comme hier
Vers un but inconnu ton inlassable marche,
Puisque la nuit t’invite à t’asseoir sous son arche,
Cède à son doux appel. Le rêve intérieur
Ramènera ton âme aux anciennes années
Où tu jouais d’un cœur paisible, enfant rieur.
Avec le fil qui brille aux mains des Destinées.
Chère maison natale aux balcons en fleurs ! Vois :
Un clair matin d’été scintille sur les toits.
Le jardin retentit de chants, de cris, de voix.
Entends chuchoter l’eau, soupirer les feuillages,
Et les cloches frémir de l’aile dans leurs cages.
Sur un massif que l’aube aux doigts frais a mouillé.
Ton frère aux cils dorés voudrait, agenouillé,
Cueillir un papillon qu’il prend pour une rose.
Tout s’éveille et rayonne et chante ; tout est pur.
Pareille à ce jardin baigné d’humide azur,
La vierge au temps d’amour rit et pleure sans cause.

O voyageur ! regarde encore : c’est le soir.
Un rayon rouge et bas traverse les charmilles,
Le rêve enlace deux à deux les jeunes filles
Qui viennent au balcon s’accouder et s’asseoir.
« Le soir est bon, le soir est tondre ! » disent-elles.
Or l’amour est caché dans l’ombre de ces mots ;
Et, craintives de fondre alors en longs sanglots,
Elles trompent leur cœur par de douces querelles.