Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon enfant, laisse faire, élit son Conseil municipal, radical ou nationaliste, qui prétend toujours à une sorte d’autonomie, qui refuse d’entrer en relation avec le pouvoir, fait le fier devant les préfets et, tout de même, dîne à la table des ministres, reçoit en grande pompe le Président, acclame les autocrates en voyage, protège les lettres, les arts et accepte les institutions établies. En somme, Paris, qui connaît sa force et ses devoirs, se rit lui-même de ses propres exagérations et laisse faire, tant qu’on ne touche pas à son travail, à ses préjugés et à ses formules.

Tel est le compromis sur lequel on vit, à la faveur de l’anonymat républicain. Peut-être, de ce compromis, se dégagera-t-il une de ces constitutions non écrites, un de ces pactes tacites sur lesquels les peuples vivent pendant des générations.

Quoi qu’il en soit, la grande difficulté de la vie française, c’est-à-dire d’un pays qui veut être centralisé pour être uni, reste le mariage de Paris et de la province, d’une capitale active, puissante, fastueuse et téméraire avec un pays tout de mesure, de prudence et d’épargne. Quand l’étranger nous juge d’après ce qu’il voit, c’est-à-dire d’après ce que lui montre Paris, il nous juge mal, il nous ignore.

Tant pis, et tant mieux,

Paris vaut plus que la France. Mais la France vaut mieux que Paris. Et c’est ce qui fait que, dans les heures critiques, on trouve toujours, dans cet admirable pays si connu et si méconnu, des ressources et des ressorts, imprévus qui surprennent et déroutent les observateurs les plus subtils et les adversaires les plus avisés. C’est que Paris appelle, alors, la France à l’aide. Et elle ne boude pas. On ne sait plus, des deux, qui dirige et qui obéit. Le ménage, devant l’ennemi, se montre uni et solide, tel qu’il est au fond, tel qu’il doit être pour la défense commune du foyer.


GABRIEL HANOTAUX.