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personne aidé à nous faire ce régime tout oratoire où pérorent à qui mieux mieux l’exécutif et le législatif, lancés à fond en un concours d’éloquence dont le prix est l’affiche blanche aux frais des contribuables : « Mais ceci, disait Gambetta, — qui osait le dire, — s’appelle raconter, ce n’est pas gouverner. » Ceci, pour être franc, s’appelle bavarder. Dans ce régime fait par les avocats, naturellement les avocats triomphent. Et comme, n’attachant de valeur qu’à la parole, ils n’attachent toutefois aux mêmes mots qu’une valeur temporaire, provisoire et conventionnelle : que peu leur importe que la forme adhère à l’idée et que l’expression soit l’enveloppe du fait, mais qu’ils coulent successivement dans la même forme ou dans la même enveloppe des idées ou des faits contradictoires, le régime tout oratoire que plus que personne ils ont aidé à nous faire ne met plus en présence et aux prises, n’entre-choque plus des faits et des idées, mais seulement des formules vidées de tout sens, par l’usage exclusif desquelles la politique se vide de toute réalité, jusqu’à devenir cet on ne sait quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, du moins dans, la bonne langue, et qu’on ne peut qualifier sans faire un emprunt à l’argot : du haut en bas et de long en large, « de la blague ; » mais de politique, point.

Alors, qui ? — ni philosophes, ni sociologues, ni économistes, ni savans, ni gens de lettres, ni médecins, ni avocats : alors, personne ? Où prendre alors cet oiseau rare, l’homme politique ? De qui est-il né, de quoi vit-il, en quel coin de la société peut-il bien faire son nid ? Est-il, comme le Bouddha, marqué d’un signe d’élection, et nourri, à part, de mets interdits aux vulgaires mortels ? Que, tous les siècles ou tous les demi-siècles, il apparaisse un de ces génies qui font franchir aux nations quelque tournant de l’histoire, et tracent à la politique un nouveau sillon, c’est à merveille, mais, tout de même, il faut remplir les intervalles. Pour la besogne quotidienne, dans le courant ordinaire des choses et le train ordinaire de la vie, il faut se contenter de bons ouvriers ; où les trouver, si avocats, médecins, gens de lettres, etc., ne peuvent être ces ouvriers-là ? Mais vraiment ne peuvent-ils pas l’être ? Y a-t-il à cela empêchement absolu ? Nous ne l’avons pas dit, et il n’est que de s’entendre.

Ce n’est pas à dire, et nous ne disons pas, qu’aucun philosophe, aucun sociologue, aucun économiste, ne puisse jamais, à aucune condition, avoir des vues et justes et utiles sur la politique ;