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faire voter un projet qui concilierait tant d’intérêts et de préjugés divergens. Pour cela, il fallait d’abord inspirer confiance aux agrariens et leur tenir le langage le plus propre à aller droit à leur cœur. Aussi leur a-t-il parlé de l’agriculture à peu près comme aurait pu le faire un d’entre eux. Nous ne doutons pas que M. de Bulow ne soit très frappé des maux de l’agriculture : cependant, comme diplomate, il n’en avait pas fait jusqu’à ces dernières années l’objet principal de ses préoccupations, et c’est un peu grâce aux circonstances nouvelles où il se trouve qu’il s’est découvert à leur égard de véritables trésors de sensibilité. A lire son discours, on croit distinguer des larmes dans sa voix ; à l’entendre, l’assemblée a éprouvé une émotion très vive, mais presque douce, car jamais ministre n’avait parlé mieux à l’unisson de ses propres sentimens. M. de Bulow n’a pas hésité à dire, pour conclure, qu’à l’échéance prochaine des traités de commerce, c’est-à-dire dans deux ans, il y faudrait certainement relever les tarifs douaniers. Aucune promesse ne pouvait plaire davantage aux agrariens : aussi le discours du ministre a-t-il été accueilli par eux avec une grande satisfaction.

Toutefois ils ont conservé de l’inquiétude sur un point particulier. Ils ne veulent plus de traités de commerce, jugeant qu’un traité engage l’avenir pour une durée plus ou moins longue, et cela est incontestable : or, ils entendent rester toujours libres d’exhausser, ou d’abaisser leurs tarifs, mais surtout de les exhausser, suivant l’intérêt du moment et toutes les fois qu’ils le jugeront à propos. Le système inauguré chez nous par M. Méline, et qui consiste à établir un tarif minimum et un tarif maximum entre lesquels on peut jouer à son aise, leur plaît infiniment. A la réflexion, ils se sont aperçus que M. de Bulow ne s’était pas prononcé à ce sujet, et qu’il y avait du vague dans son discours. Il semble bien que M. de Bulow n’ait pas renoncé au système des traités de commerce : il relèvera les tarifs, soit, mais d’accord avec les autres puissances, et, entre parenthèse, cet accord ne sera pas commode à établir. Si son discours a produit une bonne impression sur les agrariens de Prusse, l’effet au dehors en a été fort différent. L’Autriche et l’Italie, les deux puissances alliées de l’Allemagne, ont fait entendre des cris d’alarme, des protestations même, et si vives qu’il faut peut-être voir dans cette situation, telle qu’elle est subitement apparue, une des causes du rapprochement survenu entre l’Italie et nous. Quant à la Russie, qui n’est plus l’alliée, qui est seulement l’amie de l’Allemagne, et qui a avec elle son franc parler, elle s’est fâchée et a annoncé tout de suite qu’elle userait de vigoureuses