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de notre auteur inconnu, sur leurs mœurs. « Tout ce qu’il y avoit de beau monde dans les villes qui étoient marquées sur notre route se trouvoit au souper de Sa Majesté Catholique et des Princes. Comme la curiosité est inséparable du beau sexe, les dames qui se distinguoient par leur beauté étoient des premières à se faire voir au monarque, et j’ai remarqué que bien souvent leurs charmes auroient fait de grandes impressions sur l’esprit de Sa Majesté, sans les précautions du duc de Beauvilliers qui, pour se régler sur les conseils que le Roi Très Chrétien lui avoit donnés en partant, prévenoit adroitement toutes les ruses de l’amour. » Il ajoute même : « Si le duc de Beauvilliers avoit soin, pendant le voyage, que le nouveau Roi n’entrât point dans des commerces galans avec les dames, le maréchal duc de Noailles n’en avoit pas moins pour les deux princes ses frères. Celui-ci tâchoit de prévenir les reproches que la Duchesse de Bourgogne, nouvellement mariée, n’auroit pas manqué de lui faire, à son retour de la Cour, sur l’infidélité du Duc son époux[1]. »

Ces précautions étaient peut-être nécessaires en ce qui concerne le roi d’Espagne, dont le tempérament amoureux inspirait des inquiétudes, et il ne paraît pas qu’elles aient complètement réussi, puisque, à Bordeaux, Philippe V aurait fait porter par un page un billet doux à une belle Gasconne pour lui demander une entrevue « que celle-ci déclina comme ne pouvant être que fatale à sa vertu. » Mais elles étaient injurieuses pour le Duc de Bourgogne qui n’avait point besoin du maréchal de Noailles pour demeurer fidèle à sa femme. L’amour profond qu’il lui portait, et ses scrupules religieux, auraient suffi. Ses préoccupations étaient ailleurs, et nous en avons la preuve dans le Journal de voyage tenu par lui, et qui a été publié[2]. Dans ce Journal, rien qui sente l’ardeur, l’imagination, la jeunesse. Pas un élan, pas une impression un peu vive. Pas un mot non plus des fêtes qui lui sont données. Rien que de brèves remarques sur les villes où il s’arrête, sur leur population, leur commerce, sur les gîtes et l’état des chemins. On dirait le carnet de voyage d’un sage écolier, et Fénelon en eût été content. Mais, sous cette apparente sécheresse, on devine une préoccupation constante : celle de se rendre le compte le plus exact possible de l’état des provinces qu’il

  1. Dangeau, t. XVIII, p. 366.
  2. Curiosités historiques ou Recueil de pièces utiles à l’Histoire de France et qui n’ont jamais paru, t. II, p. 93 et suivantes.