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habits. C’est le résultat de ses veilles et de ses travaux qui est connu du monde entier, et c’est leur souvenir exprimé par le marbre que le monde entier reconnaîtra. Ce n’est pas sa silhouette inconnue des foules, et ce n’est pas elle qu’on a envie de voir. Le visage suffit. Si, comme on le prétend, c’est le visage qui reflète toute la grandeur de l’homme moderne, c’est son visage seul qu’il faut immortaliser. Si c’est son corps tout entier, le costume y est indifférent. Si ce n’est ni l’un ni l’autre, et si toute sa grandeur consiste dans sa pensée, c’est donc bien sa pensée qu’il faut figurer sur son monument...

Et, si l’on objecte que pour figurer la pensée d’un politique, il faudrait qu’il en eût une, ou l’action d’un ministre, il faudrait qu’il eût fait quelque chose, et que, si les milliers de célébrités qu’on érige en marbre ont possédé chacune un visage qu’on peut reproduire, il serait fort difficile de leur trouver à toutes un rêve ou une pensée qu’on pût symboliser, nous dirons qu’en ce cas, on serait quitte pour ne rien figurer du tout... Et l’on ne voit pas ce qu’y perdraient l’art, l’histoire, la chose publique... Il n’est pas nécessaire que tout grand homme ait une statue, mais il est nécessaire que le goût public ne soit point perverti par les apparitions grotesques et immuables qui s’accumulent dans nos cités. Il n’est pas indispensable d’enseigner à l’avenir des milliers de noms inconnus au présent, mais il ne faut pas qu’un même signe évoque, chez nos descendans, les meilleurs de nos contemporains avec les pires des formes esthétiques, ni que le souvenir de l’héroïsme ou du génie se confonde, dans leurs imaginations, avec celui de la laideur. Enfin, il n’est pas démontré que la statuaire ne doive représenter que le nu, mais il semble bien établi qu’il est des formes artificielles dont l’art ne peut tirer aucun parti, et que, s’il n’y a pas autant de « lois » esthétiques, peut-être, qu’on l’a quelquefois professé, il y en a tout de même quelques-unes qu’il faut suivre, — et non point parce qu’elles dérivent d’un code et qu’elles sont admises par l’Institut, mais simplement parce qu’elles dérivent de la nature même des choses et qu’elles sont des nécessités.


ROBERT DE LA SIZERANNE.