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restreindre la place occupée par leurs rivaux, à faire disparaître les emblèmes civiques encore apposés, et gagnent insensiblement à la main. A côté du catholicisme en progrès continu, en plein renouveau, l’église constitutionnelle, quoique officiant dans la nef de Notre-Dame, maintient péniblement la concurrence. Des protestans vont au prêche, réclament pour leur culte une église située près du Louvre et en feront le temple de l’Oratoire ; en d’autres églises, les théophilanthropes célèbrent encore leurs rites inoffensifs et doux, au milieu des sarcasmes ; on voit des fêtes de la Vieillesse, de la Tolérance, de la Jeunesse et du Printemps, où des philosophes pratiquans expliquent devant de rares auditeurs les beautés de la religion naturelle. On voit des sectes de tout genre, des groupes de prédicans divers et des loges de francs-maçons, car les partis extrêmes, royaliste et démagogique, paraissent s’être servis alors de la franc-maçonnerie pour dissimuler leurs secrètes assemblées sous le voile d’une quasi-religion et de pratiques rituelles[1].

Plus de réunions politiques autorisées : depuis la suppression du Manège, Paris n’a plus de clubs ; la tribune aux vociférations est renversée. En revanche, des sociétés artistiques et littéraires, des sociétés formées pour la diffusion de la science et des lumières, subsistent ou se fondent, chacune s’inspirant d’un esprit différent et de tendances rivales. Rue de la Chaussée-d’Antin, La Harpe a rouvert son cours de littérature : philosophe repenti, passé d’un extrême à l’autre, il groupe autour de sa chaire tout le public bien pensant et transforme l’explication des auteurs en cours de réaction dogmatique ; le Lycée des Arts se donne pour mission d’encourager les inventions utiles, et, au Portique républicain, devant un public de démocrates, la citoyenne Constance Pipelet lit des mémoires « sur la condition des femmes dans une république. » Dans l’ordre spéculatif et théorique, il est permis de parler et d’écrire, de raisonner et de déraisonner librement. Il en résulte une floraison assez variée d’initiatives discordantes, quelques efforts même de groupement et d’association, que Bonaparte supporte encore et n’ira pas comprimer trop tôt. Malgré le calme de la rue et le silence des factions, rien ne

  1. Rapport de police du 4 prairial : « Les sociétés de francs-maçons sont devenues depuis quelque temps le point de réunion des factieux de tous les partis :… au Pont aux Choux, une loge d’exclusifs prononcés ; rue du Vieux-Colombier, une de royalistes. » Archives nationales, AF, IV, 1329.