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paix ; mais toute idée de rester dans la vérité républicaine, toute idée de passer la main à l’héritier des anciens rois, à supposer que l’une et l’autre aient alternativement existé en lui, s’effacent à jamais de son esprit. Il va dire à Bourmont, en parlant du Prétendant : « Si c’était un grand prince qui dût régner, s’il avait fait de grandes choses, s’il était comme le duc d’Enghien après la bataille de Rocroi, je me ferais honneur de servir sous lui, je ne balancerais pas à lui remettre un sceptre dont il serait digne, mais on ne connaît pas le roi ; il est à Mittau, qu’il y reste… Pendant ma vie, je conserverai l’autorité suprême. J’étendrai la gloire des armes françaises, j’écraserai l’Angleterre, et la France fera la loi au reste du monde[1]. » Revenant à Louis XVIII, il laisse déjà percer le désir d’obtenir de lui une abdication en lui assurant une retraite paisible, peut-être une souveraineté infime en un coin de terre étrangère : « Loin de lui nuire, je respecterai ses malheurs et lui rendrai tous les services que je pourrai, bien entendu excepté sa couronne ; elle est perdue pour lui ; l’histoire offre d’autres exemples d’un changement de dynastie. » Et, après cette échappée sur l’avenir, se reprenant, il répète : « Je gouverne, je conserverai la puissance jusqu’à ma dernière heure. » Pour s’élever au sommet d’où ses ambitions pouvaient embrasser d’illimités espaces, huit mois lui avaient été nécessaires ; son avènement à la pleine puissance, fondée sur l’absolue possession de l’esprit des masses, n’avait été que progressif, et il avait fallu Marengo pour compléter Brumaire.


ALBERT VANDAL.

  1. Conversation précitée.