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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/625

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y séjourner comme dans un temple. La belle demeure blanche, correcte, à pilastres et à balustres, resplendissait de lumières, et Miss Alice Longfellow, pareille sous la poudre à une grande dame du XVIIIe siècle, ouvrait ses salons à une foule joyeuse d’enfans et de tout jeunes gens dont les costumes historiques évoquaient un autre bal travesti donné jadis en ce lieu par le général et Mrs Washington pour célébrer l’anniversaire de leur mariage. Au-dessous des beaux portraits de ces deux ancêtres, leurs représentans, les jeunes Dana, petits-enfans de Longfellow, restituaient dans leurs moindres détails les deux figures des anciens hôtes et devant eux vinrent s’incliner tour à tour, présentés tout haut par un jeune sosie d’Edmund Randolph de Virginie, grand maître des cérémonies du bal d’autrefois, ceux qui avaient été ou qui auraient pu être invités à ce même bal, La Fayette et Rochambeau compris, ces deux derniers ne manquant pas de faire un beau salut à la française, la main sur le cœur. Le général Green, le général Lincoln, John Hancock, Rufus Bigelow, Edmund Trowbridge, etc., coudoyaient les héros plus anciens de l’ère coloniale, le grave gouverneur Winthrop, sir Harry Vane, de tragique mémoire, William Penn, d’autres encore, Pères pèlerins, puritains et quakers, sans parler de personnages imaginaires qui mettaient une note fantastique dans cette assemblée si mêlée déjà. L’Amérique possède en commun avec l’Angleterre le domaine de Shakspeare ; elle en avait fait sortir une fée Mab de six ans, sa baguette à la main, le page de Roméo, d’autres créations idéales qui bientôt enlacèrent dans une valse toute moderne les fils et les filles de la liberté, quelques-uns descendant plus ou moins directement de celui ou de celle dont ils portaient le costume. Je me rappelle surtout une jeune fille brune et charmante en fourreau de soie blanche légère, attaché presque sous les bras, des perles dans ses cheveux noirs, et que le colonel Higginson me présenta comme lady Wentworth, épouse de sir John Wentworth, gouverneur du Nouveau-Hampshire et de la Nouvelle-Ecosse. Il ajouta :

— C’est ma fille, sous les atours authentiques, précieusement conservés, de son arrière-grand’mère.

Et il me parla d’un temps sur lequel certains Européens qui voient dans la nation américaine un ramassis d’aventuriers, d’industriels habiles et de rudes travailleurs, auraient grand besoin de s’instruire, un temps qui a fourni au colonel Higginson