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sortait de chez lui profondément pénétré de latin et de grec, on était en même temps quelque peu meurtri de coups. La brutalité de cette discipline explique assez que Thomas Higginson ait été toute sa vie partisan déclaré de la co-éducation qui suppose des mœurs moins rudes. Quoiqu’il n’eût pas le bonheur d’être réuni en classe aux demoiselles de sa génération, il fut amoureux très jeune, comme tous ses camarades, écrivant les lettres qui ne partent pas, les poèmes qui ne sont jamais montrés, esclave, jaloux de quelque beauté dont on se garde de prononcer le vrai nom, se bornant à la désigner par un pseudonyme de convention dans les longs entretiens dont elle est l’objet. Ses dispositions sentimentales ne l’empêchaient nullement d’être un garçon actif, épris de sciences naturelles, capable de faire des lieues à la recherche d’une plante ou d’un coléoptère. Ce goût se retrouve très marqué dans ses études de plein air[1] parmi lesquelles il convient de signaler la charmante Procession des fleurs.

L’histoire de leur pays était sans cesse présente aux écoliers de Cambridge. Les pierres, les arbres même de cette ville, rappellent la période héroïque de l’Indépendance. Higginson était né dans The Professor’s Row, la rue que descendirent les troupes provinciales marchant au combat le 17 juin 1775, après s’être arrêtées pour prier à la fameuse maison au toit « en jambe de cheval » qui vit sortir, d’une lignée de ministres fameux, le docteur Wendell Holmes. Sa propre demeure renfermait des portraits d’ancêtres en perruque, mais c’était surtout au vieux cimetière que les futurs étudians de Harvard allaient vénérer de précieuses traditions : les épitaphes en latin, les crevasses éloquentes de certaines pierres tombales dont les armoiries de plomb avaient été arrachées, puis, fondues en balles, la vieille poudrière de la Révolution, les débris de redoutes, où, couché dans l’herbe, on repoussait par la pensée les attaques des Anglais. Comme but des plus beaux rêves apparaissait l’Université déjà vieille de deux siècles, un monde à elle seule. Quel intérêt ne prenait-on pas aux solennités du « Collège ! »

Ce qu’on appelle le Commencement, la distribution des diplômes était alors, non seulement une cérémonie académique, mais une occasion de fête publique pour tout le Massachusetts. La foule affluait de près et de loin à la foire et aux courses ; les

  1. Outdoor Studies, 1 vol.